Un très beau film sur la déchéance d’Oscar Wilde qui, s’il ne fait pas dans la nuance, livre un portrait attachant du grand homme, superbement interprété par Peter Finch
The Trials of Oscar Wilde (1960)
(Les procès d’Oscar Wilde)
Réalisé par Ken Hughes
Ecrit par Ken Hughes d’après le livre de Montgomery Hyde
Avec Peter Finch, Yvonne Mitchell, James Mason, Nigel Patrick, Lionel Jeffries, John Fraser,…
Réalisation de la photographie : Ted Moore / Production design : Ken Adam / Montage : Geoffrey Foot / Musique : Ron Goodwin
Produit par Harold Huth
Drame / historique
122mn
UK
Le 3 février 1892 au théâtre St James à Londres. La première de la nouvelle pièce d’Oscar Wilde (Peter Finch) « Lady Windermere’s fan » est accueillie triomphalement par le public. Mais le Marquis de Queensberry (Lionel Jeffries) fait scandale en croisant son fils Alfred (John Fraser), dont la rumeur prétend qu’il a une liaison interdite (homosexuelle) avec Wilde. Ce dernier balaie les accusations de Queensberry avec son esprit habituel, mais celui-ci promet à son fils de se servir de tous les moyens légaux pour rompre leur liaison.
Alors qu’on s’apprête à célébrer les 60 ans de la mort d’Oscar Wilde, deux films sont alors en développement sur le célèbre dramaturge. Même si Wilde est un dramaturge reconnu, célébré et joué de par le monde, sa personnalité reste sujet à controverses. En 1960, l’homosexualité est toujours un crime en Angleterre, et les homosexuels victimes régulières de chantage, comme le rappellera l’année suivante l’audacieux et remarquable thriller « Victim » (1961) de Basil Dearden.
Le dramaturge, scénariste et réalisateur Ken Hughes avait déjà un scénario de prêt basé sur le livre éponyme de du politicien nord irlandais Montgomery Hyde et publié en 1948. Mais autant dire que le sujet reste tabou. Albert R. Broccoli et Irving Allen, producteurs associés via leur société Warwick Productions devront financer seuls le film. De même pas la peine de demander à une star américaine d’endosser le rôle principal, l’homosexualité n’est pas alors mieux vue à Hollywood. Et pour couronner le tout, un autre projet de film est développé en parallèle sur Oscar Wilde, avec soit beaucoup moins de moyens mais qui traite de la même période de la vie de l’artiste !
C’est la course pour finir à temps « The Trials of Oscar Wilde », dont seulement sept semaines séparent le début du tournage à sa sortie en salles ! Il perdra néanmoins la première place face à son concurrent baptisé tout simplement « Oscar Wilde » et sortira une semaine plus tard. Face à la confusion dans les salles sur deux films consacrés à Wilde, Broccoli et Allen devront se résoudre à changer le nom du film en « The Green Carnation » (l’oeillet vert » en rapport avec la fleure qu’il portait habituellement sur son costume).
Fallait-il se presser autant ? Visiblement non, car les deux films sont des flops. Pourtant « The Trials of Oscar Wilde » est un film très réussi. D’abord Peter Finch qui décroche le rôle de Wilde, est excellent et fait preuve de subtilité en jouant un personnage exubérant. Il est accompagné d’un casting de talent, qui comprend notamment Yvonne Mitchell, James Mason, Nigel Patrick, Lionel Jeffries et John Fraser !
Le public contemporain pourra reprocher s’il le veut son académisme au film. Les décors et les costumes sont somptueux. Les retranscriptions des procès donnent froid dans le dos. Mais on peut avoir l’impression que c’est un peu propret et qu’on ne nous dit pas tout. Qu’a-t-il fait au juste ? Je rappelle donc qu’on est en 1960 et que l’homosexualité était encore interdite en Angleterre. Le film était déjà audacieux de faire face à ce qui était encore une « perversité » du point de vue légal. Vous remarquerez d’ailleurs qu’on dit « sodomite » (l’insulte utilisée par Queensberry contre Wilde) mais jamais on ne prononce le mot « homosexuel » (en fait il faudra attendre le déjà cité « Victim » l’année suivante pour que le mot soit prononcé pour la première fois dans un film de langue anglaise !).
Dans ce procès dont il a été à l’origine, contre Lord Queensberry, Wilde se retrouve accusé d’avoir payé des jeunes hommes (souvent mineurs – donc âgés de moins de 21 ans), souvent également de classe inférieure (autre crime !), pour avoir des relations sexuelles interdites car homosexuelles. L’accusation était grave, mais les pratiques homosexuelles étaient loins d’être rares à l’époque. Le tord et le crime de Wilde étant d’être trop visible… et de n’être pas un aristocrate – donc de manquer de la protection de classe.
On peut aussi reprocher au film de prendre sans aucune réserve la défense d’Oscar Wilde contre le vieux Marquis de Queensberry (excellente prestation toute en haine de Lionel Jeffries qui était alors âgé de… 33 ans !) décrit comme un personnage odieux et misérable. Quant à l’objet de leur combat légal, le fils de Queensberry, Lord Alfred il s’en sort à peine mieux, ici montré comme un personnage hystérique et égoïste à qui Wilde doit sa déchéance en l’utilisant comme arme contre son père… Enfin, la femme de Wilde, Constance (Yvonne Mitchell irréprochable comme toujours), est montrée comme une sainte. Tout ça est un peu trop à charge pour Queensberry père et fils pour qu’on ne devine un parti pris, qui ne s’éloigne peut-être pas de la vérité, mais a un côté forcé.
Le scénariste et réalisateur Ken Hughes fera de la même façon un portrait peu nuancé de « Cromwell » en 1970. Si on se souvient de Ken Hughes surtout pour « Chitty Chitty Bang Bang » (1968), il est dommage d’oublier un peu vite qu’il a scénarisé et réalisé des films intéressants, dont ces deux biopics historiques sur Wilde et Cromwell (même s’ils ne sont donc pas très nuancés), mais aussi de chouettes polars et films noirs dont l’excellent « The Small World of Sammy Lee » (1963).
« The Trials of Oscar Wilde » n’est peut-être donc pas parfaitement objectif, mais livre en tout cas un portrait saisissant de ce génie irlandais et de son combat contre l’hypocrisie de la société victorienne.
On attend toujours une ressortie digne de ce nom du film que ce soit sur support DVD ou blu-ray.
L’article qui fait la part des choses en ne taisant pas le parti-pris favorable du réalisateur, donne résolument envie de voir ce film sur grand écran. Quoi qu’il en soit, tout film sur cette figure sulfureuse de la grande littérature britannique suscite automatiquement de l’intérêt. Avant l’évolution des mentalités sur ce sujet et les avancées législatives du 21e siècle, le thème de l’homosexualité au cinéma était entouré de l’aura de l’interdit et suscitait chez le public tout à la la fois un malaise et une fascination.
“Victim” de Dearden, mentionné à juste titre dans cet article, est à cet égard emblématique du tournant audacieux pris en 1961 par le cinéma dans son approche de cette thématique, alors même que les esprits n’y étaient pas encore préparés au RU et que les préjugés et la stigmatisation étaient attachés à la figure de paria de l’homosexuel.
Finalement la société était plus tolérante à cet égard du temps de Shakespeare dont les Sonnets exaltent subtilement l’ambigüité de ses amours pour les deux sexes.
Le casting du film de Ken Hughes est remarquable et joue en sa faveur. Il fallait toute la subtilité et l’élégance d’un acteur comme Peter Finch pour incarner un personnage aussi hors du commun, d’une intelligence aussi vive et d’un humour aussi corrosif que l’écrivain irlandais.
“Oscar Wilde et le cinéma” est un sujet en or, tellement la vie et l’œuvre de l’écrivain ont inspiré le 7e art. Parmi les biopics récents, on peut citer “The Happy Prince” de Rupert Everett, avec celui-ci dans le rôle de Wilde. Comme c’était le cas de Dirk Bogarde dans ”Victim”, qui mieux qu’un homosexuel pouvait incarner avec vérité et sensibilité un personnage d’homosexuel? Une réussite totale dans les deux cas.
Outre les films de ce réalisateur évoqués dans l’article, on peut citer un chef-d’œuvre co-réalisé par Henry Hattaway, “L’ange pervers”, sublimé par le couple Laurence Harvey et Kim Novak.
En conclusion, vivement la sortie de ce film en version remastérisée.