Pour son quatrième film, Alex Garland met en scène une Amérique déchirée, à feu et à sang. Un film d’anticipation engagé ou juste un gros divertissement ? La réponse est un peu plus compliquée qu’il n’y paraît
Civil War (2024)
Ecrit et réalisé par Alex Garland
Avec Kirsten Dunst, Wagner Moura, Cailee Spaeny, Stephen McKinley Henderson,…
Direction de la photographie : Rob Hardy / Production design : Caty Maxey / Montage : Jake Roberts / Musique : Geoff Barrow et Ben Salisbury
Produit par Gregory Goodman, Andrew Macdonald et Allon Reich pour A24, DNA Films et IPR.VC
Thriller / Guerre / Drame
UK / USA
« Civil War » marque le grand retour de l’anglais Alex Garland, d’abord romancier puis scénariste (grâce à sa collaboration avec Dany Boyle qui avait porté à l’écran son roman « The Beach ») puis réalisateur (tout en gardant sa casquette de scénariste). Après les chouettes films de SF « Ex-Machina » (2014), « Annihilation » (2018) et un passage moyennement convaincant au drame horrifique (« Men », 2022), le voici donc à la tête d’un film de guerre.
Et pas n’importe quelle guerre, puisque dans « Civil War », il s’agit d’une guerre civile qui déchire l’Amérique. Une situation qui aurait paru bien trop fantasmagorique encore il y a encore quelques années pour servir de contexte à un film dit « sérieux ». Mais depuis la présidence de Trump et les événements du 6 janvier 2022, les choses ont beaucoup changé. S’agit-il pour autant d’un film qui parle de l’Amérique ? Non. Le contexte politique reste volontairement flou.
Dans « Men », Alex Garland avait clairement manqué de subtilité dans son message. Ici il semblerait qu’il en a mis trop puisque j’ai pu lire pas mal de critiques qui ont défendu que « Civil War » n’était pas un film politique. Alors, soit, le message est un peu flouté (ne serait-ce parce qu’on parle d’un affrontement Est-Ouest qui serait partie d’une révolte issue de deux Etats dont la coopération semble improbable : le Texas et la Californie !). Mais « Civil War » est clairement (en tout cas pour moi) un film qui dénonce les dangers du nationalisme et du jeu des politiques de parier sur la division pour mieux régner. En cela, le film ne parle pas d’un pays particulier (d’où le manque de contexte ou de parti pris) mais d’un mal qui ronge un grand nombre de pays occidentaux qui se sentent à l’abri de la guerre.
D’ailleurs la technique de présenter une guerre à travers les yeux des reporters de guerre, présents sur le terrain pour témoigner et rongés par les paradoxes moraux liés au statut d’observateur d’événements horribles, a déjà été largement utilisé mais plutôt pour parler de conflits ayant lieu loin des yeux de l’occident : le Cambodge (The Killing Fields, 1984), l’Indonésie (The Year of Living Dangerously, 1983, l’ex-Yougoslavie (Welcome to Sarajevo, 1998), le Kurdistan (Eyes of War, 2009), la Géorgie (5 Days of War, 2011),…
Bref, « Civil War » s’inscrit quasiment dans un sous-genre cinématographie. L’originalité d’Alex Garland est d’utiliser ce type de regard pour l’appliquer à un potentiel conflit au sein même du pays leader du monde occidental. Et ce qui aurait pu être catalogué de simple film d’anticipation fantaisiste apparait ici redoutablement réaliste.
« Civil War » est plutôt un road movie, parfois intimiste, à travers un pays à feu et à sang qu’un gros film d’action hollywoodien. La bande annonce peut être trompeuse à cet égard. Ceux qui vont le voir pour voir du gros divertissement plein d’action et d’explosions risquent d’être déçu. Il y en a bien sûr, mais presque de manière accessoire. Il peut y avoir aussi un débat sur la profondeur des personnages que l’on suit. L’histoire se focalise sur la relation entre une photographe de guerre célèbre Lee (Kirsten Dunst) et une jeune débutante Jessie (Cailee Spaeny). Lee, désabusée et au bord du rouleau, se voit évidemment à son âge dans les yeux de Jessie et fait tout pour l’écarter. Là aussi on est dans une ficelle classique, voire plus qu’usée, au cinéma. Pour moi, les reporters, des archétypes, représentent le spectateur occidental face au conflit. Passifs, distants et observateurs face à un conflit qui ne semble pas les concerner directement.
Mais en ce qui me concerne et en dépit de quelques réserves (une scène de charnier trop explicite comme d’ailleurs la scène de réunion des directeurs de camps de concentration dans « The Zone of Interest »), « Civil War » est un film réussit et qui enfonce le clou là où ça fait mal pour les démocraties occidentales. On n’est jamais à l’abri de l’horreur (et pas besoin d’une invasion étrangère voire extra-terrestre pour amener un pays à sa destruction).
J’apprécie également l’audace de Garland de jouer de l’ambiguïté généré par le manque de contexte et le manque de partis pris pour proposer un film qui laisse de très nombreuses questions sans réponses. Un vent d’air frais dans un paysage cinématographique bien trop formaté.
Sorti dans les salles françaises le 17 avril 2024.