Crime / Drame:
Alvin Rakoff / Patrick Alexander

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4
On 20 octobre 2024
Last modified:20 octobre 2024

Summary:

Un film criminel brillant, et au casting en or, qui emprunte les codes des films noirs afin de traiter directement et sans ambages de la prostitution

Un film criminel brillant, et au casting en or, qui emprunte les codes des films noirs afin de traiter directement et sans ambages de la prostitution

Passport to Shame (1958)

Réalisé par Alvin Rakoff

Ecrit par Patrick Alexander

Avec Odile Versois, Eddie Constantine, Herbert Lom, Brenda de Banzie, Robert Brown, Diana Dors,…

Direction de la photographie : Jack Asher / Direction artistique : George Beech / Montage : Lee Doig / Musique : Ken Jones

Produit par John Clein

Crime

90mn

UK

« Passport to Shame » (le passeport de la honte en français), sorti aux USA sous le titre de « Room 43 » (l’affiche américaine reproduite ci-contre semble vendre aux spectateurs un film situé à New York !), est l’un de ces « sleazy » thrillers qui s’intéresse aux bas-fonds de la société. Le ton est donné dès le début. Je n’ai pas l’habitude d’agir de la sorte, mais l’entrée en matière de ce film est assez remarquable. Donc avant de vous présenter plus avant le film, permettez-moi de vous décrire en détail les premières scènes qui totalisent environ 4 minutes.

SCENE 1

Un homme en costume assis derrière un bureau se présente (la caméra zoome lentement durant son discours) : « Certains d’entre vous me connaissent peut-être. J’étais en charge de la fameuse patrouille volante de Scotland Yard. Le film que vous allez voir s’intéresse à un sujet sordide et presqu’effrayant. La prostitution.Les truands qui font tourner ce trafic très organisé sont impitoyables. Je le sais car j’ai servi 28 ans dans la force de police de Londres et pour la plus grande partie dans le West End. »

(Plan rapproché fixe)

« Cette ville a probablement le pire problème de prostitution dans le monde. Vous verrez par vous-même les terribles méthodes employées pour forcer de jeunes filles innocentes dans la prostitution. Le film traite le sujet de manière franche, dramatique et précise. Et en exposant ce trafic, je pense qu’il nous aidera à comprendre ce qui se passe et peut-être ferons nous quelque chose pour éradiquer ce malfaisant problème social ».

Ecran noir.

SCENE 2

Musique de jazz douce qui monte en puissance.

Gros plan sur les jambes d’une femme avec un parapluie qui semble attendre sur le trottoir. Un homme s’approche d’elle, l’aborde et s’en va. On la suit, elle va et vient, on aperçoit un journal du soir dans le caniveau. Un clochard ramasse un mégot.

TITRE DU FILM « PASSPORT TO SHAME »

On s’attarde sur la manchette du journal :  « La police fond sur un réseau du West End ». Le clochard est parti, une femme se soulage les pieds, un couple s’étreint, un vendeur à la sauvette présente des bijoux à deux clientes potentielles puis s’enfuie, les chaussures bien cirées (probablement celles d’un policier) s’approchent puis repartent, deux enfants jouent aux dès puis se disputent avec un troisième qui donne un coup de pied dans les dès, un homme frappe un autre et pars avec la femme qui était avec lui, les passants se regroupent autour de l’homme à terre tandis qu’un voleur en profite pour récupérer une boite de conserve dans un panier (puis la remet pour en prendre une autre), un homme passe le ballet dans le caniveau, l’eau emportant le journal, de belles jambes apparaissent, on entent un homme dire à la silhouette « Attention le caniveau » la caméra remonte au niveau des visages, c’est Diana Dors, elle sourit et s’en va, l’homme se rapproche de la vitrine et discute avec un autre homme (Eddie Constantine) qui regarde un taxi en vitrine et qui lui dit « Regarde comme elle est belle je l’aurai » (la voiture pas la femme) « Qu’importe le prix », la caméra s’attarde sur le prix : « 1.040£ ».

Effet de transition pour simuler la vitesse

SCENE 3

Un autre panneau de prix « 10.400 francs ». Une jeune femme blonde admire un chapeau dans une vitrine, joue avec le reflet de façon à ce que son visage apparaisse sous le chapeau, elle sourit, dit quelque chose en Français, la caméra zoome sur son sac qu’elle entrouvre pour faire apparaitre de l’argent qu’elle compte.

FONDU ENCHAINE

De l’argent s’échange de main à main, Johnny vient de faire un prêt pour s’acheter son taxi (la scène continue avec Johnny qui discute avec enthousiasme de ce qu’il va faire de l’argent avec l’employé)

Bon maintenant que je vous ai présenté les premières scènes, assez remarquables, on peut s’attarder sur le pitch : Nick Biaggi (Herbert Lom) est un truand natif du East End qui a fait son trou dans les beaux quartiers du West End grâce à une compagnie de prêt et surtout une affaire florissante de proxénétisme dirigée par Ms Agatha (Brenda de Banzie). Cette dernière piège une jeune française Malou (Odile Versois) tandis que Nick piège Johnny (Eddie Constantine) pour qu’il accepte un mariage blanc avec Malou (Odile Versois). Le but ? éviter que Malou, leur investissement, soit déportée pour prostitution.

« Passport to Shame » est le premier film d’ Alvin Rakoff, un Canadien arrivé à Londres en 1952 et qui a fait ses débuts l’année suivante à la BBC. Ici, il signe un thriller assez percutant sur la prostitution, traité d’une manière directe, avec des prétentions presque documentaires – voire la première scène. Ah, d’ailleurs l’ancien policier qui présente le film est l’officier de police Robert Fabian, retraité de la police en 1949 et devenu écrivain et scénariste, notamment de la série policière à succès de la BBC  « Fabian of the Yard » (1954) dans laquelle il présentait des reconstitutions dramatiques de cas sur lesquels il avait travaillé.

« Passport to Shame » fait partie de ces films britanniques de la deuxième moitié des années 50 qui, souvent en empruntant aux codes du film noir, s’attachent à décrire la société telle qu’elle est avec un désir de réalisme accru, ce qui participera à poser les fondations de la nouvelle vague britannique. Le scénariste Patrick Alexander (un ancien journaliste dont l’un des romans sera adapté en France sous le titre « Le professionnel » avec Belmondo) profite des libertés nouvelles de la censure britanniques sur ce genre de sujets (tant qu’il soit traité avec forte condamnation – d’où l’introduction quasi hystérique dans le choix des mots de Robert Fabian et le titre probablement). Pour sa part, Alvin Rakoff prend les codes du cinéma noir pour concevoir un film brillant avec des scènes fortes, un style affirmé (le plan séquence et la scène de cauchemar de Malou) et nerveux.

Le casting est royal. Dans les rôles principaux l’américain Eddie Constantine et la française Odile Versois en tête d’affiche, entourés de Herbert Lom et Brenda de Banzie dans les rôles des méchants. La blonde pulpeuse Diana Dors trouve ici l’un de ses meilleurs rôles (avec évidemment deux autres excellents polars sombres  « West 11 » en 1963 et surtout « Yield to the Night » en 1956), loin de ceux de pin-up blonde où elle a été souvent cantonnées dans la première partie de sa carrière. On a même droit à un jeune Michael Caine pour une apparition non créditée de quelques secondes et muette (il fait alors les figurants depuis quelques années déjà).

« Passport to Shame » a été édité en blu-ray chez le défunt éditeur britannique Network. Faisant partie du catalogue StudioCanal comme « West 11 », on peut espérer qu’il sorte également en France dans la collection de Jean-Baptiste Thoret, Make My Day où il aurait tout à fait sa place

DVD / Blu-ray UK. Studio Network (2020). Version originale avec des sous-titres optionnels en anglais