Le premier film à dénoncer l’apartheid est un mélodrame fort et juste, filmé en grande partie en Afrique du Sud, avec un casting exceptionnel. Un grand classique injustement méconnu !

Cry, the Beloved Country (1951)

Réalisé par Zoltan Korda

Ecrit par John Howard Lawson d’après le roman d’Alan Paton

Avec Canada Lee, Charles Carson, Sidney Poitier, Joyce Carey, Geoffrey Keen Lionel Ngakane,,…

Direction de la photographie : Robert Krasker / Direction artistique : Wilfred Shingleton / Montage : David Eady / Musique : Raymond Gallois-Montbrun

Produit par Zoltan Korda et Alan Paton pour London Film Productions

Drame

103mn

UK

Révérend dans un petit village d’Afrique du Sud, Stephen Kumalo (Canada Lee) se rend à Johannesburg pour la première fois de sa vie à la recherche de son fils qui ne donne plus de nouvelles. Sur place, il découvre une mégapole où les vies humains, surtout quand elles sont noires et pauvres, n’ont que peu de valeur. Alors qu’aidé par le révérend Msimangu (Sydney Poitier), il part sur les traces de son fils, il doit faire face à une vérité terrible. Son fils bien aimé a tué un blanc, de surcroit un défenseur de la cause noire, lors d’un cambriolage raté.

Sorti en 1951, « Cry, the Beloved Country » est un film pour le moins audacieux. Ses deux personnages principaux sont noirs et il traite d’un sujet, l’apartheid, qui sera encore tabou plus de trente ans plus tard quand, enfin, plusieurs films vont se succéder pour dénoncer la politique raciale en vigueur en Afrique Sud (Cry Freedom, A World Apart,…).

Tiré d’un livre du sud africain Alan Paton par le scénariste américain blacklisté John Howard Lawson (raison pour laquelle son nom n’apparait pas au générique), le projet d’adaptation cinématographique est porté par London Film Productions et Zoltan Korda, frère du mogul du cinéma britannique, Alexander Korda.

Zoltan Korda avait alors une belle carrière en tant que cinéaste, notamment de films d’aventure exotiques et à grand spectacle dont « Sanders of the River » (1936), « Elephant Boy » (1937), « The Four Feathers » (1939) ou encore outre-atlantique « Sahara » (1943) avec Humphrey Bogart. Habitué à travailler en décors naturels, Korda tourne ici son film en grande partie en Afrique de Sud, et ce malgré l’apartheid. Pour faire entrer sur le territoire ses deux acteurs afro-américains, Canada Lee et Sidney Poitier, Korda devra prétendre qu’ils sont ses serviteurs.

Premier film d’ampleur à être tourné en Afrique du Sud, « Cry, the Beloved Country » en utilise à plein les décors naturels, mais pas pour en vanter la beauté, plutôt pour montrer l’emprunte de l’apartheid à travers ses décors miniers, ses vastes étendues cultivées appartenant à des blancs ou les bidonvilles.

« Cry, the Beloved Country » est un mélodrame mais qui vise juste, évitant les stéréotypes en prenant soin de montrer qu’il y a des bons et des méchants des deux côtés, et que quand on a le coeur bien placé, on peut évoluer. Mais il ne pardonne rien au système qui rend tout cela possible.

La réalisation de Korda est soignée, et quand les dialogues/situations peuvent sembler un brin trop appuyées, les acteurs montrent tout leur talent, notamment Canada Lee, ancien boxeur qui a tourné dans une poignée de films américains (Lifeboat, Body and Soul,…) et qui trouve ici son seul rôle principal. Comme Paul Robeson avant lui, Lee trouvera enfin un rôle à sa mesure outre-manche. Il faut dire que Canada Lee, comme Robeson, a pu mesurer la puissance d’un autre apartheid, outre-atlantique. Malheureusement ce sera le dernier rôle de Lee qui mourra d’une crise cardiaque l’année suivante.

Le jeune Sidney Poitier trouve ici son deuxième rôle crédité après le film noir américain « No Way Out » (1950). Heureusement, il arrive à une époque où le cinéma américain s’ouvre aux acteurs de couleur, et aura la carrière que l’on connait.

Côté acteurs blancs, notons la prestation de Charles Carson dans le rôle d’un propriétaire terrien qui a honte de son fils, défenseur des droits des noirs, et qui après l’assassinat de son fils, lira ses écrits et malgré la douleur trouvera la force de se débarrasser de son racisme primaire, aidé par sa femme Margaret (une excellente Joyce Carey).

« Cry, the Beloved Country » reste un film inexplicablement peu connu, alors que ses qualités et son audace devraient lui permettre de rejoindre les rangs des grands classiques du cinéma mondial. Espérons que StudioCanal qui a les droits du film ressortira bientôt le film sur blu-ray (pour l’instant il faut se contenter d’un vieux DVD sur le marché britannique).

A noter qu’une nouvelle adaptation du classique d’Alan Paton a été co-produit par l’Afrique du Sud et les USA en 1995 après la chute de l’apartheid avec James Earl Jones et Richard Harris.