Une errance sombre dans le Notting Hill des sixties, une perle noire signée Michael Winner à découvrir sans tarder

West 11 (1963)

Réalisé par Michael Winner

Ecrit par Keith Waterhouse et Willis Hall d’après le roman de Laura del Rivo

Avec Alfred Lynch, Kathleen Breck, Eric Portman, Diana Dors,…

Direction de la photographie : Otto Heller / Direction artistique : Robert Jones / Montage : Bernard Gribble / Musique : Stanley Black

Produit par Daniel M. Angel

Crime

UK

Joe Beckett (Alfred Lynch) est un jeune homme paumé. Il vit seul dans une pension à Londres, a une relation instable avec Ilsa (Kathleen Breck) et accumule les petits boulots. Le jour où il démissionne de son dernier boulot en date dans une boutique de vêtements pour homme, il est suivi par Richard Dyce (Eric Portman), un homme insaisissable qui finit par lui proposer un marché : il doit tuer sa vieille tante qui habite à la campagne en échange de 10.000 livres.

« West 11 » est un film signé par Michael Winner (futur réalisateur de « Death Wish » avec Charles Bronson). Durant les années 60, il se forme en tournant (et parfois en scénarisant) de tout (films criminels, comédies musicales,…), des films de série B dont certains sont perdus. « West 11 » est considéré comme son premier film important. Et quel film !

Sublimé par la photographie du prestigieux Otto Heller, « West 11 » est une petite merveille entre le film noir et le film social. On pourrait même le classer dans la nouvelle vague anglaise avec son portrait d’une jeunesse perdue et dont les valeurs entrent en collision avec celles de l’ancienne génération (incarnée ici par sa mère, préoccupée par le manque de valeurs de son fils et qui l’entraine à aller voir l’ancien curé de leur paroisse).

Joe Beckett l’avoue à tous ceux qui veulent l’entendre. Il est perdu, ne sait plus où il veut et peut aller. Que faire de sa vie ? Il ne veut pas chercher un sens, il tente de se débarrasser de toute quête existentielle. Il ne veut pas retourner vers la religion (on apprend d’après le curé qu’il avait un temps pensé rejoindre l’église). Alors quand un vieil escroc lui propose de commettre un crime, il finit par se dire « Pourquoi pas ? ».

« Savais-tu qu’un lépreux ne sent rien. Je suis comme un lépreux, émotionnellement parlant » confie-t-il à son vieux voisin Mr Gash (Finlay Currie), qui vit seul parmi les livres et lui propose de le rejoindre dans sa quête de sens.

La fin est inévitable. Joe y perdra-t-il son âme ? Mais après tout, qui dit qu’il en a une ?

« West 11 » est un coup de poing dans l’estomac, avec tous ses personnages au bord du gouffre, ou qui, déjà tombés dans la fosse, s’y complaisent.

On est très loin du Swinging London. Les jeunes font la fête mais pour masquer le vide et l’insécurité de leur situation (Joe se fait expulser de son logement pour trois semaines de retard de loyer et tente de draguer des filles qui ont un toit !). Le titre du film vient du quartier du west London où Joe réside (W11 est le code postal de Notting Hill), un quartier pauvre où s’accumulent alors les immigrés (Joe croise d’ailleurs dans ses errements une réunion de fascistes brandissant des panneaux « Britain first » – ironiquement c’est aujourd’hui le nom d’un parti britannique d’extrême droite fondé en 2010).

Film sombre sous tous les points de vue, « West 11 » est une petite perle noire qui mérite d’être revue et réévaluée. Ça tombe bien car Jean-Baptiste Thoret vient de le rendre disponible auprès des cinéphiles français dans sa collection « Make my Day! ».

Combo blu-ray/DVD FR. Studio StudioCanal, collection « Make my Day! » (2019). Version originale sous-titrée en français. Bonus : Préface de Jean-Baptiste Thoret (7′) + « West 11 » revu par Yal Sadat (47′)