
Vous en rêviez ? Tilly Norwood, la première actrice générée par IA, est londonienne. Mais il lui reste encore un petit chemin (de croix ?) à parcourir avant que vous ne la voyiez sur grand écran !
On sait que l’industrie cinématographique britannique suit de très prêt les innovations en terme d’intelligence artificielle. Il y a quelques mois, j’ai écrit un long article sur le sujet. Si la petite équipe anglaise d’AiMation Studios a pu s’enorgueillir d’avoir créé le premier long métrage d’animation « Where the Robots Grow », publié sur Youtube en octobre 2024, une autre société de production anglaise Particle6 a présenté le 28 octobre au Zurich Film Festival la première actrice IA, nommée Tilly Norwood.
L’ambition de ses créateurs ? Qu’elle soit la nouvelle Scarlett Johansson ou Natalie Portman ! La CEO de Particle6, Eline Van der Velden, a d’ailleurs annoncé que plusieurs agences artistiques se seraient montrées intéressées pour la représenter. « Nous étions présents dans de nombreux conseils d’administration en février, et tout le monde disait : « Non, ce n’est pas possible. Ça n’arrivera pas. » Puis, en mai, les gens ont dit : « Il faut qu’on fasse quelque chose avec vous » ».
Evidemment les réactions, globalement hostiles, n’ont pas tardé et l’ « actrice » a déjà fait couler beaucoup d’encre avant même qu’on la voit véritablement à l’oeuvre (juste dans une courte vidéo youtube – voir plus bas). La Screen Actors Guild‐American Federation of Television and Radio Artists (SAG-AFTRA) a ainsi publié un communiqué très clair sur le sujet : « Soyons clairs : “Tilly Norwood” n’est pas une actrice, c’est un personnage généré par un programme informatique, formé à partir du travail d’innombrables artistes professionnels, sans autorisation ni rémunération. Il ne s’inspire d’aucune expérience de vie, ne suscite aucune émotion et, d’après ce que nous avons pu constater, le public n’est pas intéressé par du contenu généré par ordinateur, sans lien avec l’expérience humaine. Cela ne résout aucun problème ; cela crée le problème de l’utilisation de performances volées pour mettre les acteurs au chômage, mettant en péril leurs moyens de subsistance et dévalorisant l’art humain. »
La créature a doit à son site officiel, des pages sur les réseaux sociaux comme LinkedIn (supprimée depuis), TikTok, Instagram ou encore facebook où elle déclare (avec un don certain pour l’ironie) « Je ressens des émotions très réelles en ce moment. J’ai tellement hâte de voir ce qui va suivre ! ». IL y a deux mois, la société de production avait mis en ligne une petite vidéo youtube qui a généré à ce jour plus de 350.000 vues (sûrement boostée par la récente polémique).
Un joli coup de pub (empoisonnée ?) pour la société de production Particle6 qui créé depuis des années du contenu pour plusieurs diffuseurs avec « True Crime Secrets » et « Look See How » pour Sky, « KS2 History: World War Two » pour BBC Teach, « Miss Holland » et « Crazy Science » pour BBC Three,… Et la société a pu notamment profiter de fonds publics de la part du UK Global Screen Fund.
La CEO de Particule6 ne voit pas en tout cas le problème : « Les gens se rendent compte que leur créativité n’a pas besoin d’être limitée par un budget. Il n’y a aucune contrainte créative, et c’est pourquoi l’IA peut être un atout majeur (…) Il s’agit simplement de changer le point de vue des gens. » Le public est-il prêt ? A l’en croire, la question ne se pose même pas : « Le public ? Ce qui l’intéresse, c’est l’histoire, pas la présence de la star. Tilly suscite déjà l’intérêt des agences artistiques et des fans. L’ère des acteurs synthétiques n’est pas en vue, elle est bel et bien là. » On ignore actuellement qu’elles sont les agences artistiques intéressées mais il est peu probable que leurs autres talents non numériques accueillent sans rien dire cette nouvelle recrue encombrante.
En tout cas, on peut déjà remarquer que la première actrice IA répond à des critères de beauté bien précis qui ne laissent pas la place à la moindre imperfection. Drôle d’idée quand même et dont le succès reste à démontrer tant le rejet peut être violent de la part de la profession mais aussi du public sur les réseaux sociaux. Ce qui a obligé Particle6 à clarifier sa position : « À ceux qui ont exprimé leur colère face à la création de mon personnage d’IA, Tilly Norwood, sachez qu’elle ne remplace pas un être humain. C’est un travail créatif, une œuvre d’art. Comme de nombreuses formes d’art avant elle, elle suscite la conversation, ce qui témoigne en soi du pouvoir de la créativité. » Pas sûr que ça éteigne la polémique.
D’autant que parallèlement au lancement de Tilly Norwood, Particle6 a annoncé la création d’un studio de création d’acteurs générés par IA, Xicoia, pour permettre à d’autres sociétés de production de créer leur propre « talent numérique » (avec Tilly comme démo).
Pour Peter Bradshaw, le célèbre critique de The Guardian, l’existence même de Tilly (qu’il appelle à boycotter) s’inscrit dans un processus plus large d’uniformisation des contenus autour d’un nivellement par le bas (reproche très souvent fait aux plateformes de streaming) : « La représentation du monde réel, à travers l’interprétation et l’écriture, devient de plus en plus automatisée, rendue insipide pour rejoindre le monde robotisé à mi-chemin, dans une sorte de vallée où tout est sans aspérité et sinistre, et dans laquelle le robot peut prospérer » (voir sa tribune ici).

