Un des grands classiques du film d’espionnage, un anti James Bond poussé à l’extrême, où les idéologies, si vides soient-elles, s’entre-choquent et broient impitoyablement l’humain
The Spy Who Came in from the Cold (1965)
(Un espion venu du froid)
Réalisé par Martin Ritt
Ecrit par Paul Dehn et Guy Trosper d’après le roman de John le Carré
Avec Richard Burton, Claire Bloom, Oskar Werner, Rupert Davies, Cyril Cusack, Peter van Eyck, Michael Hordern,…
Direction de la photographie : Oswald Morris / Production design : Tambi Larsen / Montage : Anthony Harvey / Musique : Sol Kaplan
Produit par Martin Ritt
Thriller
UK
Quand le réalisateur américain Martin Ritt achète les droits du troisième roman de John Le Carré, c’est sur épreuves. Un sacré coup, car Le Carré n’est pas encore très connu, et c’est la publication de « »The Spy Who Came in from the Cold » qui va brusquement le projeter dans les rangs des écrivains de best-seller.
Le Carré qui était alors lui-même espion à Bonn, sous une couverture de diplomate, a réussi à obtenir l’autorisation de sa hiérarchie pour la publication « The Spy Who Came in from the Cold », celle-ci considérant que les faits reportés étaient suffisamment éloignés de la réalité pour ne pas mettre en danger le service ou quelconque opération. Ce qui est amusant, car le succès inattendu du roman d’espionnage auprès du public et de la critique était justement dû en partie à cette impression d’enfin découvrir les détails de la lutte qui oppose les services de secrets des deux côtés du mur. Une lutte impitoyable où la fin justifie les moyens, qu’importe les pertes humaines et les infractions à la morale ou à la stratégie officielle.
Un discours qui semble plus réaliste et satisfait en tout cas les prédispositions complotistes nichées dans le cerveau de chacun, mais qui de l’aveu de Le Carré ne correspond pas à LA réalité (« j’étais l’espion qui était sorti du bois, et tout ce que je pouvais dire de contraire ne faisait que renforcer le mythe »)… Même si son roman en est sûrement plus proche que les aventures exotiques de James Bond qui triomphent alors sur les écrans du monde entier.
Car « The Spy Who Came in from the Cold », le livre puis le film, apparaissent comme l’antidote à James Bond. Ici pas de héros qui se bat pour sauver le monde en Technicolor (TM), de jolies filles en tenue sexy ou de cascades. Bon ce revirement vers de l’espionnage plus réaliste est dans l’air du temps? La même année sort « The Ipcress File« , adapté du roman de Len Deighton, sorti en 1962, où Harry Palmer (Michael Caine) passe une bonne partie de son temps à lutter contre… sa bureaucratie.
Mais « The Spy Who Came in from the Cold » va encore plus loin. Le film est tourné en noir et blanc et on suit le destin d’ Alec Leamas (Richard Burton), ancien responsable du contre-espionnage à Berlin, embarqué dans une double mission où il va devoir attirer les recruteurs soviétiques en quête de défecteurs. Mais faire croire qu’il est alcoolique et dégoûté par son pays ne va guère s’avérer compliqué, car Leamas a perdu toute conviction, toute illusion.
Recasé en tant qu’assistant dans une bibliothèque, Lamas y rencontre Nancy (Claire Bloom), une jeune femme qui embrasse les convictions communistes. Une naïveté qui amuse Leamas mais ne va pas l’empêcher de tomber amoureux. Reste que le plan semble marcher et après un court séjour en prison, Leamas est enfin approché par les services russes.
La caméra suit un Leamas dépressif dans les rues londoniennes grises à souhait (la photographie du grand Oswald Morris est volontairement délavée). Le film suinte la perte de repères et l’échec des idéologies communistes et capitalistes qui finalement se rejoignent dans leur amoralité qui mène forcément à une conclusion tragique (même si l’amour l’emporte sur le nihilisme). Qu’est un simple individu sur l’échiquier où s’affrontent les Etats ? Rien, même moins que rien.
Même si le tournage n’a pas été facile, notamment dû à l’alcoolisme de Burton et à l’omniprésence d’Elisabeth Taylor (moyennement satisfaite que Burton travaille avec l’une de ses ex, Claire Bloom), il faut bien souligner que le film permet de profiter de l’une des plus belles prestations de Burton (mais il faudrait nommer quasi chaque acteur du film tant le casting est parfait !) et que Martin Ritt signe ici l’un de ses meilleurs, sinon son meilleur film.
Combo Blu-ray/DVD. Edition ESC (2021). Version originale sous-titrée en français et version française. Bonus : Livret de 32 pages signé Olivier Père, entretien autour du film et analyse de séquence par Frédéric Albert Lévy