L’un des plus grands chefs d’oeuvre du cinéma. Une fresque d’amitié, d’amour, et de guerre sur 40 ans. Et surtout une incroyable satire de la vieille Angleterre

Le colonel Blimp

The life and death of Colonel Blimp (1943)

(Le colonel Blimp)

Ecrit, produit et réalisé par Michael Powell et Emeric Pressburger

Avec Roger Livesey, Deborah Kerr, Anton Walbrook, Roland Culver,…

Produit par The Archers, Rank Organization, Independent producers

Tourné au Studios de Denham

Guerre / Satire

163 mn

UK

Durant le Blitz, le vieux colonel à la retraite Clive Candy est devenu responsable d’une division londonienne de Home guards (des brigades de volontaires chargées d’intervenir en cas d’invasion allemande). Il décide d’organiser un exercice grandeur nature en déclarant que la guerre commencera à 20h. Mais un jeune responsable d’unité décide de faire comme de vrai et de se lancer à l’assaut de la capitale bien avant l’heure convenue. Il débarque ainsi dans les bains turques où Clive Candy se repose et le fait prisonnier. Alors que les deux hommes en viennent aux mains dans la piscine, nous revoyons  Clive Candy sortir de l’eau, quarante an plus tôt, jeune officier fringuant et  impertinent.

Affiche Colonel BlimpAvant d’être le héros du film de Powell et Pressburger, le colonel Blimp était personnage d’une série de cartoons créé dans les années 30 par le satiriste David Low.  Le colonel Blimp est l’archétype de l’officier de l’armée anglaise de l’époque : un vieux militaire, irascible, imbu de lui-même et qui a une conception de la guerre complètement dépassée et pense que la guerre est affaire de gentlemen.

Voici donc un drôle de héros pour un film conçu en pleine seconde guerre mondiale. Powell et Pressburger avaient auparavant participé à l’effort national en signant quelques très bons films de propagande plébiscités par les autorités et le public : « The 49th Parallel » (1941) et « One of our aircraft is missing » (1942).

Dès le départ, Churchill s’opposa au projet de Blimp, d’autant qu’en plus de s’inspirer de dessins satiriques, le film raconte l’histoire d’amitié sur quarante ans de deux officiers, l’un anglais et l’autre…. allemand. De plus l’officier Allemand est le personnage le plus lucide et le plus intelligent de tout le film, à l’inverse de cette baudruche sympathique de Clive qui ne comprend jamais rien à ce qui lui arrive.

Ça n’empêcha pas la production du film, mais, en l’absence de la coopération de l’armée, Powell et son équipe durent faire preuve de la plus grande ingéniosité pour récupérer des costumes, armes et véhicules militaires nécessaires pour le tournage.

Powell avait d’abord pensé à Laurence Olivier pour le rôle titre mais l’armée refusant de prêter Olivier pour le tournage, il se rabattu sur Roger Livesey. Un excellent choix car Livesey est parfait de bout en bout, à toutes les étapes de la vie de Clive Candy. L’officier allemand Theo est joué également avec maestria par l’acteur autrichien Anton Walbrook. Les deux forment un duo vraisemblable et très attachant.

Pour le personnage principal féminin, qui représente la femme idéale de Clive et Theo à travers trois personnages, Powell pencha pour la toute jeune Deborah Kerr (malgré l’opposition de Rank qui ne voyait pas ce que cette débutante venait faire dans une production de cette ampleur). Cette dernière est sublime, et on ne peut en vouloir à Powell d’être tombé amoureux de l’actrice pendant le tournage.

Le film fut tourné en quatre mois, avec davantage de scènes de studio que les précédents films de Powell. On reconnait bien les fonds peints typiques des scènes de studio de l’époque, mais la beauté des décors et des images en technicolor subliment le tout. L’inventivité visuelle dont fait preuve le film et son audace scénaristique respirent l’intelligence et le génie.

Le film est à la fois une tirade satirique contre la guerre à papa, un portrait de l’évolution de la place de la femme dans la société (à travers les personnages successifs incarnés par Deborah Kerr), le récit d’une amitié indéfectible entre deux hommes que pourtant tout éloigne, un film sur l’amour et la vieillesse, sur l’exil via le personnage de Theo, allemand mais pas nazi (Pressburger s’identifiait à Theo, d’autant qu’il a lui-même fuit Berlin où il avait commencé sa carrière de scénariste après l’arrivée au pouvoir d’un certain Hitler)…

Interdit à l’export pendant plusieurs mois, Rank joua de l’opposition de Churchill pour faire la publicité du film. Mais il ne sortit dans la plupart des pays qu’après la guerre. Il fut également coupé et remonté (avec la structure en flashback supprimée). Le film a été restauré dans sa version originale seulement en 1983.

« The life and death of Colonel Blimp » est peut-être le premier film quasi parfait signé par Powell et Pressburger. Une narration hors-pair, des dialogues et des personnages mémorables, des images d’une grande beauté,… Du très grand cinéma tout simplement. L’un des films préférés de Melville, Scorsese et Tavernier. Rien que ça.

DVD et Blu-ray Carlotta Films. Version originale sous-titrée.