Un excellent thriller mélodramatique sur fond de règlement de compte au sein de l’IRA. Un petit bijou à découvrir grâce à une très belle restauration du BFI

The Informer (1929)

Réalisé par Arthur Robison

Ecrit par  Rolf E. Vanloo adapté du roman de Liam O’Flaherty (avec Benn W. Levy pour les dialogues dans la version sonore)

Avec Lars Hanson, Lya De Putti, Warwick Ward, Carl Harbord, Carl Harbord,…

Direction de la photographie : Werner Brandes et Theodor Sparkuhl / Direction artistique : J. Elder Wills / Montage : Emile de Ruelle / Musique : Garth Knox (nouvelle musique de 2016) – Hubert Bath et Harry Stafford (version originale)

Tourné aux studios d’Elstree et produit pour British International Pictures (BIP)

Drame / Thriller

83mn

UK

En Irlande dans les années 20, Francis Mc Phillip (Carl Harbord), membre de l’IRA, tue par accident un officier de police lors d’une fusillade. Avant de s’exiler aux Etats-Unis, le désormais fugitif décide de sortir de sa planque pour aller dire au revoir à sa petite amie Katie (Lya De Putti) et à sa mère. Mais Gypo Nolan (Lars Hanson), également membre de l’IRA et amoureux de Katie, le croise chez cette dernière et le dénonce par jalousie.

Restauré par le BFI, « The Informer » a été projeté au BFI Film London Festival en 2016, et est sorti l’année suivante en combo blu-ray et DVD. L’occasion pour le grand public de découvrir ce film dans les meilleures conditions avec une très chouette partition du violoniste et compositeur Garth Knox (pour la version muette). Mais, même s’il est sorti en 1929 (soit deux ans après l’arrivée du parlant et la même année que le premier film britannique parlant « Blackmail » d’Alfred Hitchcock), il existe, comme ce dernier, en version muette et parlante.

A vrai dire, les versions parlantes des deux films, « Blackmail » et « The Informer » rentrent plutôt dans la catégorie des « part-talkies », c’est à dire des films muets avec quelques passages parlants et bruitages. Le film d’Hitchcock, produit par la British International Pictures (BIP) comme « The Informer », est sorti en juillet alors que le film d’Arthur Robison est sorti en octobre. On lui laisse donc le titre de premier film parlant britannique.

Mais, et c’est là la surprise : Si dans sa première partie, la version sonore de « The Informer » met l’accent sur les bruitages (coups de feu, radio,..) mais continue de se reposer sur les intertitres pour les dialogues… il finit par s’en débarrasser complètement et devient intégralement parlant et sonorisé dans la seconde moitié !

C’est assez étonnant et probablement dû à une décision tardive en cours de production. Néanmoins, la partie parlante n’a rien à envier aux productions plus tardives – et est plus convaincante que celle de « Blackmail » si mes souvenirs sont bons. C’est le seul exemple que je connaisse d’aussi extrême, où le passage du muet au parlant est aussi appuyé (et arrive, merveille du hasard (?), à un moment important de l’intrigue). Tout un symbole et raison pour laquelle je trouve que le BFI aurait dû mettre plus en avant cette version sonore/parlante et y apporter le même soin en matière de restauration ! Je remets rarement en question les décisions du BFI en matière d’édition, mais là c’est vraiment très dommage !

En tout cas, comme pour le film d’Hitchcock, la version muette a été bien plus diffusée à l’époque car peu de cinémas étaient équipés pour des projections sonores.

Pour le BFI, The Informer est « l’un des meilleurs films britanniques des années 20 et mérite sa place parmi d’autres grands films muets comme « Blackmail », « A Cottage in Darmoor » et « Picadilly« . A noter que tous ces films sont disponibles en DVD ou blu-ray aux éditions BFI.

Et on peut difficilement donner tord au BFI.  Adapté du roman de l’écrivain irlandais Liam O’Flaherty, « The Informer » est un très beau film, sur un contexte historique rarement montré au cinéma à l’époque et encore des dizaines d’années plus tard (parmi les rares films qui mettent en scène l’IRA avant les années 70, on peut noter par exemple « Odd Man Out » sorti en 1947 et « A Gentle Gunman » sorti en 1952).

Evidemment, l’organisation nationaliste irlandaise est montrée plutôt comme un repaire d’hommes violents (dans les seconds rôles on a pas mal de gueules cassées qui ne démériteraient pas dans un film de gangster). Mais dans « The Informer », tous les personnages principaux font partie de l’IRA. Même si la loi du talion règne, on ne peut pas dire non plus que ce sont des créatures sans coeur et sans honneur. Le personnage même de l’informateur, joué par le suédois Lars Hanson, n’est pas complètement noir, et, rongé par la culpabilité, trouve encore assez de noblesse d’âme pour s’auto-saboter une porte de sortie et sauver une jeune femme de son taulier. Geste qui signera malheureusement sa perte.

Thriller et mélodrame flamboyant et à l’ironie cruelle, « The Informer » est indiscutablement un très bon film, superbement mis en scène par Arthur Robison, un réalisateur américain installé en Allemagne. C’est d’ailleurs pour tourner un film allemand « Looping the Loop » (1928) qu’il s’est rendu à Londres et que la BIP lui a (probablement) proposé de tourner ‘The Informer ». L’année suivante, il signera la version parlée en français du film de la MGM « Let Us Be Gay », baptisée « Soyons gais ». Rappelons qu’au début du parlant, il était d’usage de tourner plusieurs versions du même film (avec des acteurs différents) quand on voulait distribuer un film sur plusieurs territoires.

La photographie très soignée est signée d’ailleurs par deux allemands (Werner Brandes et Theodor Sparkuhl). Hors le suédois Lars Hanson, l’actrice hongroise  Lya De Putti toune ici malheureusement son dernier film, elle meurt deux ans plus tard à l’âge de 34 ans. Le chef de la cellule de l’IRA est lui incarné par l’anglais Warwick Ward qui arrêtera de tourner avec l’arrivée du parlant. Il a tourné son dernier film en Allemagne, témoignage s’il en est besoin, qu’à l’époque du muet, la barrière du langage n’existant pas, les acteurs voyageaient avec aisance.

BPI a en tout cas mis les moyens dans cette très belle production, preuve qu’elle voyait dans ce film un potentiel aussi important que celui de « Blackmail » d’Hitchcock. Notons pour finir que le roman de Liam O’Flaherty a été ré-adapté pour le grand écran, six ans plus tard, en 1935 par John Ford (version que je n’ai pas encore vue).

Combo-blu ray/DVD. Studio BFI (2017). Version muette et version sonore (mais sans sous-tires pour les parties dialoguées). Nombreux bonus et livret de 34 pages.