Un thriller érotique ? Pas vraiment mais un portrait déstabilisant d’une obsession sexuelle mortifère parfaitement incarnée à l’écran par Christopher Walken dans une Venise à double face
The Comfort of Strangers (1990)
(Étrange Séduction)
Réalisé par Paul Schrader
Ecrit par Harold Pinter d’après le roman de Ian McEwan
Avec Christopher Walken, Rupert Everett, Natasha Richardson, Helen Mirren, Manfredi Aliquo,…
Direction de la photographie : Dante Spinotti / Production design : Gianni Quaranta / Montage : Bill Pankow / Musique : Angelo Badalamenti
Produit par Angelo Rizzoli Jr.
Drame / Thriller
107mn
Italie / UK / USA
Durant les années 80, la tension érotique envahit les écrans. Depuis 1980, que ce soit par le biais de Paul Schrader (déjà) avec « American Gigolo », De Palma avec « Dressed to Kill (1980) , le cinéma « classique » Américain s’inspire de l’esthétique et de thématiques sexuelles dérivées du porno. Le réalisateur américain Adrian Lyne est l’une des figures du genre avec les succès de film « 9½ Weeks » (1986) qui affichait au générique deux des plus grandes stars hollywoodiennes de l’époque, Kim Basinger et Mickey Rourke, puis dans le versent sombre « Fatal Attraction » (1987) avec Michael Douglas et Glenn Close. Ce dernier film étant (pour la petite histoire) écrit par l’Anglais James Dearden, fils du réalisateur Basil Dearden dont je vous ai parlé ici à maintes reprises.
Si je vous fait ce petit rappel c’est que « The Comfort of Strangers » (1990), réalisé par Paul Schrader, est parfois classé parmi les thrillers érotiques. Non qu’il y ait des scènes explicites de sexe mais il y a une tension érotique qui est au coeur même du film. Quant à dire que c’est un thriller, oui, mais là encore il faut quand même relativiser. On n’est pas dans « Basic Instinct » (1992) ! Mais avec « Bitter Moon » (1992) de Polanski et avant « Crash » (2004) de Cronenberg, c’est sûrement l’un des films de l’époque qui va le plus loin dans le côté mortifère de l’obsession sexuelle.
Un couple d’Anglais, Colin (Rupert Everett) et Mary (Natasha Richardson), sont revenus à Venise pour passer du temps ensemble alors qu’ils se posent des questions sur leur couple. Leur point commun ? ils sont chacun en adoration devant le corps de l’autre. Mais à part cette attirance sexuelle brute, ont-ils vraiment quelque chose en commun ? La rencontre avec un riche Italien, Robert (Christopher Walken), obsédé par son père et un passé plus viril et sa femme Caroline (Helen Mirren) va les faire passer de l’autre côté du miroir où ils deviennent les sujets d’une obsession très malsaine.
Basé sur un roman de l’écrivain Anglais Ian McEwan, le scénario d’Harold Pinter agit par petites touches, qui peuvent être déconcertantes pour le spectateur. On ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre. Le film s’ouvre sur les phrases de Robert qui ne seront contextualisées qu’au milieu pour enfin être répétées à la fin. Le scénario de Pinter (je n’ai pas lu le livre de Ian McEwan) laisse le spectateur remplir les pointillés et interpréter cet affrontement entre le corporel et le cérébral, entre l’innocence et le corrompu encapsulé dans une Venise à la fois superbe et inquiétante (comme chez Visconti et Roeg). Venise, vue comme un écartèlement provoqué par des forces contraires, est en tout cas le décor idéal pour cette histoire (dans le roman de McEwan, la ville n’est pas nommée mais suggérée – d’après ce que j’ai pu lire).
L’une des réussites incontestables du film est son casting. Rupert Everett et Natasha Richardson incarnent parfaitement un couple d’une beauté pure même si superficielle, tandis que celui formé par Christopher Walken et Helen Mirren respire le malsain. Peut-être pas assez subtilement d’ailleurs ? C’est le reproche qu’on pourra faire au film. Mais il faut avouer que Walken est tout simplement parfait dans ce rôle de mâle névrosé. Dans sa bouche, les mots les plus simples prennent une forme dangereuse et délétère, qui virent vers un mélange de sous-entendus malsains et de déclarations péremptoires. C’est fort. La séquence au milieu du film où Roger raconte son père (plus que lui-même) est d’une violence inouïe – et pas seulement par ce qu’elle raconte mais par la façon précise dont Walken la raconte à travers son personnage. A la suite de cette rencontre, Mary a un malaise et vomit, puis le jeune couple se perd en voulant rentrer à leur hôtel. A ce moment précis, il est difficile au spectateur de ne pas s’identifier aux personnages !
Le film a apparemment été ré-édité en blu-ray en 2022 par Carlotta Films, mais comme je ne trouve même pas d’exemplaires d’occasion aujourd’hui et que toute mention a disparu du site de l’éditeur, je me demande si la sortie a été annulée au dernier moment par l’éditeur. Mystère.