Une anthologie de cinq téléfilms, signée Steve McQueen, qui livre un portrait riche de la communauté londonienne originaire des Indes Occidentales et de leur combat pour devenir des citoyens comme les autres
Small Axe (2020)
Réalisé par Steve McQueen
Ecrit par Steve McQueen avec Alastair Siddons, Courttia Newland
Avec Letitia Wright, Letitia Wright, Shaun Parkes, John Boyega, Steve Toussaint, Amarah-Jae St. Aubyn, Sheyi Cole, Kenyah Sandy,,…
Direction de la photographie : Shabier Kirchner / Production design : Helen Scott / Montage : Chris Dickens et Steve McQueen / Musique : Mica Levi
Produit par Anita Overland
Diffusé pour la première fois entre novembre et décembre 2020 sur BBC One
Drame / Histoire
Mangrove (128mn), Lovers Rock (68mn), Red, White, and Blue (80mn), Alex Wheatle (66mn) et Education (63mn)
UK / USA
J’ai longuement hésité à traiter chacun de ces téléfilms individuellement. « Small Axe » est une anthologie et non pas une mini série car les cinq parties sont indépendantes. Mais elles sont reliées par la même thématique et les mêmes équipes, dont évidemment Steve McQueen qui porte ce projet depuis dix ans. J’ai finalement décidé de poster une critique globale pour éviter les répétitions.
« Small Axe » est donc un projet de l’artiste, scénariste et réalisateur londonien Steve McQueen (Hunger, Shame, 12 Years A Slave,…). Il propose cinq histoires qui racontent les destins réels ou inspirés de la réalité, basés sur l’expérience de la communauté originaire des Indes Occidentales entre 1969 et 1982. Une période de transition où les membres de la génération Windrush et leurs enfants doivent faire face aux problématiques liées à leur intégration dans la société britannique. Petit rappel des faits. En 1948, le paquebot « Empire Windrush » débarque des centaines d’immigrés des Indes Occidentales à Tillbury, un port à l’embouchure de la Tamise. Même s’il n’était pas le premier ni le dernier à accoster sur les côtes britanniques avec sa cargaison de migrants, ce paquebot va donner son nom à toute une génération d’immigrés des Indes Occidentales.
Mangrove
On suit l’histoire réelle de Frank Crichlow, qui ouvre le restaurant éponyme en 1968 à Notting Hill. Les descentes régulières de police dans le restaurant et les arrestations sans motifs vont attiser le sens de persécution de la communauté qui va s’opposer à la police, le 9 août 1970, lors d’une manifestation. Celle-ci conduira à l’arrestation de neuf personnes qui deviendront les « Mangrove Nine ». Leur procès pour avoir encouragé des émeutes qui se tiendra au prestigieux tribunal londonien, Old Bailey, durera 55 jours et débouchera sur l’acquittement ou des condamnations mineures pour les neuf accusés.
Lovers Rock
Elevée dans une famille très religieuse, Martha (Amarah-Jae St. Aubyn), une adolescente de 16 ans, fait le mur pour aller avec une amie à une « blues party », une fête organisée chez un particulier pour fêter les 18 ans de Patty (Shaniqua Okwok). Elle y fait la rencontre de Franklyn (Micheal Ward), son premier amoureux.
Red, White and Blue
Leroy Logan (John Boyega) est né en Angleterre de parents jamaïcains. Biologiste, il décide néanmoins de réaliser son rêve et d’intégrer les forces de police dans l’espoir de changer le système de l’intérieur. Mais son père a du mal à accepter le choix de son fils, d’autant qu’il a été victime de violences policières. Leroy devra lutter à la fois contre le racisme de certains de ses collègues et contre la condamnation de sa propre communauté, l’accusant de se comporter comme un blanc.
Alex Wheatle
Alex (Sheyi Cole), un orphelin, est exclu de son école et amené dans le quartier de Brixton où il va devoir s’intégrer. Passionné par la musique il co-fonde un sound system. Mais quand les émeutes de Brixton de 1981 éclatent, il est arrêté en envoyé en prison. Cette expérience sera déterminante pour le jeune homme qui deviendra plus tard écrivain.
Education
Suite à un échec à un test de QI, un jeune garçon Kingsley (Kenyah Sandy) est envoyé dans une école pour ceux qui ont une intelligence limitée. Mais il s’avère que Kingsley, qui rêve d’être astronaute, ne sait juste pas lire.
-> Critique
Quand finalement « Small Axe » est diffusé en 2020, les sujets qu’elle aborde sont malheureusement toujours d’actualité comme l’a prouvé le scandale Windrush, quand il est révélé en novembre 2017 que le Home Office a menacé les immigrants arrivés avant 1973 d’expulsion s’ils ne pouvaient pas démontrer leur droit à rester sur le territoire britannique.
Steve McQueen s’était donné pour mission de transmettre ces histoires représentatives de l’identité de la communauté noire des Indes Occidentales, longtemps sous-représentée et ignorée (notamment par rapport à la communauté plus importante des immigrés venus d’Asie). Ce qui se traduira très concrètement sur les écrans britanniques, que ce soit à la télévision ou au cinéma. Le premier film important sur cette communauté datant de 1975 (« Pressure » d’Horace Ové). Pour McQueen, ces histoires doivent être racontées pour ne pas être oubliées et pour que les jeunes originaires des Indes Occidentales puissent se rendre compte que ce sont les combats de leurs ainés qui leur permettent aujourd’hui d’avoir une meilleure vie que leurs parents.
Trois de ces téléfilms (« Mangrove », « Red, White and Blue » et Alex Weatle ») racontent l’expérience de personnages réels : le restaurateur Frank Crichlow, le policier Leroy Logan et l’écrivain Alex Weatle. Chacun aura un impact sur la représentation et la dé-marginalisation de cette communauté. Etant donné que ce sont des récits biographiques, le traitement est plus classique (surtout sur « Mangrove » qui est pour la moitié un film de procès), mais le résultat est passionnant. J’ai particulièrement apprécié « Red, White and Blue » porté par les prestations remarquables de John Boyega et de Steve Toussaint, mais, et c’est une constante de « Small Axe », le niveau de l’interprétation y est remarquable.
Les deux autres téléfilms (« Lovers Rock » et « Education ») sont des fictions mais racontent des histoires représentatives de la communauté, ‘Lovers Rock » est un peu à part, formellement beaucoup plus libre. Cette histoire fictive permet à McQueen de présenter de l’intérieur l’une de ces fameuses parties jamaïcaines où la communauté se retrouve pour faire la fête. La caméra suit longuement les corps qui dansent, qu’ils s’expriment de manière sensuelle ou rageuse, dans la revendication de leur individualité ou leur identité. Il est consacré à un événement purement communautaire, qui montre d’ailleurs que le danger peut venir de l’intérieur (viol, violences conjugales, omniprésence de la religion,…).
Les cinq téléfilms, assez différents des uns des autres, ont tous un point commun : ils évoquent le racisme institutionnel et banalisé dont on souffert cette communauté. Et il faudra la force d’individus et de groupes d’activistes (dont les Black Panthers) pour changer la donne. Steve McQueen décrit ainsi tout un parcours de lutte, complexe et sur fond de divisions internes entre individus et générations, afin que ces citoyens britanniques aient enfin accès à une vie normale avec des droits égaux aux autres.
Une lutte qui parfois dépasse la communauté. Ainsi, dans « Red, White and Blue », l’un des collègues policiers de Leroy, d’origine pakistanaise, finit par claquer la porte, lassé de devoir lutter contre le racisme interne à la police. Les immigrés issus de l’ex-Empire britannique ont dû tous batailler contre les préjugés et gagner leur place dans la société. Mais on sait bien que malheureusement ce n’est pas une exception britannique. Finalement, « Small Axe » raconte une histoire universelle.
Blu-ray FR (2022). Studio FranceTV/BBC. Version originale sous-titrée en français et version française. Bonus : quatre making-off promotionnels (un peu courts)