Un film étrange, complexe, déconcertant, écrit et réalisé Dennis Potter, l’un des plus grands scénaristes de la télévision britannique
Secret Friends (1991)
Réalisé et écrit par Dennis Potter
Avec Alan Bates, Gina Bellman, Frances Barber, Colin Jeavons, Martin Whiting, Tony Doyle, Ian McNeice, Davyd Harries,…
Directrice de la photographie : Sue Gibson / Production design : Gary Williamson / Direction artistique : Sarah Horton / Musique : Nicholas Russell-Pavier
Produit par Rosemary Padvaiskas
Tourné dans les studios de bray
Drame
UK
Une silhouette devant une grande maison de campagne éclairée par la lune. John (Alan Bates), chapeau et manteau noir, s’adresse à l’écran « Je vais tuer la petite salope ». Après un générique bercé par une balade jazzy aux accents très fifties, Un paysage anglais vu d’un train, on passe devant des sièges vides puis la caméra s’arrête sur Helen (Gina Bellman) qui regarde les dessins de fleurs dessinés par John. Ce dernier, assis en face d’elle, guette ses réactions pendant qu’une voix off masculine dis à John de bien contempler ces fleurs, de deviner leur histoire. Plans d’Helen dans une maison en train de faire des exercices devant un miroir. Retour dans le train. John semble surpris. A-t-il des visions ? Changement de décor. John est chez lui devant son bureau en train de dessiner des fleurs alors qu’une voix, sa voix, l’appelle. « John, tu te rappelles de moi ? ». « Oui, je me rappelle de toi » et il écrit sur un papier « KILL HER ».
Le début de « Secret Friends » est à l’image de ce qui va suivre. C’est déconcertant, il n’y a aucune chronologie et on ne sait jamais où s’arrête la réalité et commencent les fantasmes de John. En tout cas, ce qui devient rapidement clair, c’est que John ne va pas très bien et que ses sentiments vis à vis de sa femme, plus jeune que lui et très belle, virent vers la violence. Helen est-elle une ancienne prostituée ou est-ce un fantasme de John ? Et pourquoi le visage d’Angela (Frances Barber), une amie du couple, remplace parfois celui d’Helen ? John a-t-il un frère jumeaux, un double imaginaire, est-il le tueur à la hache dont les méfaits font la une des journaux ? On ne sait pas. En fait John semble avoir perdu la mémoire, devant un plat de poisson, dans le train face à deux hommes d’affaires curieux. Il a des réminiscences de son enfance, avec son père pasteur qui l’obligeait à apprendre le nom des fleurs et le battait.
Vous l’aurez compris, « Secret Friends » n’est pas facile à suivre et on ne sait jamais trop ce qu’on regarde. Une comédie, un drame, un film fantastique, un film criminel, un film d’horreur ? Le film est écrit et réalisé par Dennis Potter, l’un des scénaristes les plus réputés de la télévision britannique qui a écrit parmi les plus célèbres single plays (petits téléfilms d’une heure) qui ont constitué l’âge d’or de la télévision britannique dans les années 60 et 70. A partir du milieu des années 70, les mini-séries vont s’imposer et là encore Dennis Potter va signer parmi les plus grands classiques du genre avec notamment « Pennies from Heaven » (1978). Le triomphe international de cette dernière va lui ouvrir les portes du cinéma des deux côtés de l’Atlantique. Mais les succès y seront bien moindres. Aux Etats-Unis, « Pennies from Heaven » (1981) et « Gorky Park » (1983) ne seront pas les succès escomptés. Du côté UK, « Brimstone & Treacle » (1982) et « Track 29″ (1988) sont des succès d’estime.
Au début des années 1990, Potter décide de passer à la réalisation en adaptant l’un de ses romans. Mais sa dernière mini-série « Blackeyes » (19!ç), sur les relations hommes-femmes (sujet central chez lui à cette époque) a créé la polémique. Ce n’est pas rare avec Potter (dont la single play « Brimstone & Treacle’ s’était vu interdire de diffusion par la BBC avant de devenir un film). Néanmoins, malgré la polémique, Potter reste un monument en Grande Bretagne et, après le refus de BBC Films suite à des fuites dans les tabloïdes, il décroche l’appui de Film4. Petit budget, problèmes de boisson pour Potter qui tyrannise l’actrice Gina Bellman qui joue Helen. Le tournage est tendu. Alan Bates, pour son rôle de personnage puritain bouffé par ses fantasmes, finit par s’inspirer de Potter lui-même.
Denis Potter ne se fait guère d’illusion sur le potentiel commercial de son film. « Certains pourraient l’aimer, beaucoup vont le détester » glisse-t-il pendant la promotion. Et de fait, le film est bien trop opaque pour trouver un large public. Néanmoins ce premier et dernier film de Denis Potter en tant que réalisateur (il est mort trois ans plus tard d’un cancer foudroyant), vaut le coup d’oeil pour ses interprètes mais aussi en tant que lecture assassine des fantasmes que les hommes projettent sur les femmes, qui semblent être condamnées à être vierges et/ou prostituées.
Blu-ray UK. Studio Powerhouse Films, collection Indicator (2019). Edition limitée à 3.000 exemplaires. Bonus : deux interviews et livret de 36 pages