La seconde et dernière collaboration entre Alexander Korda et Charles Laughton est une jolie réussite cinématographique et une belle réflexion sur le statut d’artiste

Rembrandt (1936)

Réalisé par Alexander Korda

Ecrit par Carl Zuckmayer et June Head

Avec Charles Laughton, Gertrude Lawrence, Elsa Lanchester, John Bryning,…

Direction de la photographie : Georges Périnal / Direction artistique : Vincent Korda / Montage : Francis D. Lyon / Musique : Geoffrey Toye

Produit par Alexander Korda pour London Film Productions

Tourné dans les studios de Denham

Drame / Biopic

85mn

UK

« Au XVIIe siècle, la Hollande était une grande puissance,  ses navires rapportaient à Amsterdam des trésors du monde entier. Mais sa plus grande fierté fut le fils d’un meunier de Leyde, Rembrandt van Rijn, le plus grand peintre de tous les temps. Il mourut pauvre et oublié de tous. Nul milliardaire d’aujourd’hui serait assez riche pour acheter l’ensemble de son oeuvre. »

Rembrandt (Charles Laugthon) fait ses courses chez son marchand de couleur. Son agent tente de le convaincre de peindre la garde civique, une commande qui lui remplirait les poches. Mais Rembrandt préfère peindre sa femme bien aimée Saskia. un ami prétend qu’elle est souffrante, mais Rembrandt affirme que non et fait livrer des fleures et un bracelet à sa femme. C’est seulement quand son agent lui fait remarquer qu’il ne pourra payer le bracelet s’il n’accepte pas la commande que Rembrandt cède. En rentrant chez lui, il croise la garde civique qui veut lui payer un verre quand ils apprennent la nouvelle. Rembrandt accepte mais alors qu’il célèbre la beauté de sa femme devant les gardes, son majordome vient lui apprendre qu’elle est morte. A partir de là, Rembrandt perd pied et commence à peindre et vivre sa vie comme il veut, sans se soucier des réactions de ses clients et de la bien-pensance. Est-il devenu fou ?

Après le triomphe outre-atlantique de « The Private Life of Henry VIII » (1933), l’immigré austro-hongrois Alexander Korda est devenu le plus prometteur des réalisateurs et producteurs britanniques. A la suite de ce grand succès, Korda sort des films luxueux, construit son propre studio à Denham et réussit à décrocher un accord avec United Artists pour la distribution en Amérique ainsi qu’un énorme prêt de la compagnie d’assurance Prudential.

Mais les échecs commerciaux de ses aventures avec HG Wells (« Things to Come » et « The Man who Could Work Miracles« ) ainsi que le retard des travaux à Denham lui coûtent cher. Korda rêve de recréer son duo avec celui qui a incarné pour lui, Henry VIII, Charles Laughton. Mais ce dernier, malgré ses succès, reste un acteur rongé par le doute et le manque de confiance en lui. Après avoir dû annuler la production d’une adaptation de Cyrano parce que Laughton ne pensait pas pouvoir y arriver, Korda est cette fois-ci plus prudent attendant quelques semaines avant le début du tournage pour annoncer « Rembrandt ». Laughton se plonge dans des recherches sans fin pour cerner le personnage de Rembrandt, mais quelques jours avant le début du tournage, met sur la table une condition à sa participation : que sa femme l’actrice Elsa Lanchester joue le rôle de la maitresse de Rembrandt, Hendjrickje Stoffels. Korda accepte de mauvais coeur mais l’ambiance restera tendue pendant tout le tournage, surtout que le couple ne Laughton ne s’entend pas avec la reine de Broadway, l’anglaise Gertrude Lawrence (excellente en servante fidèle mais acariâtre), bien trop extravertie à leur goût.

Manque de pot après tous les efforts de Korda, « Rembrandt » est mal accueilli par la presse, à l’instar du romancier Graham Greene qui reproche au film son manque de continuité, le film étant construit sous forme de tableaux, autour de périodes dramatiques de la vie de Rembrandt. Le public ne sera guère plus convaincu, les recettes du film ne couvriront même pas son coût de production.

Pourtant aujourd’hui « Rembrandt » est considéré comme l’un des meilleurs films de Korda. Comme d’habitude, le travail de reconstitution historique est impeccable, les acteurs très solides. Laughton offre l’une de ses compositions les plus inspirées. Ajoutez à cela le chef costumier John Armstrong, le directeur artistique et frère du réalisateur Vincent Korda, le directeur de la photographie Georges Périnal… Alexander  Korda s’entoure des meilleurs et ça se voit à l’écran.

La vie de Rembrandt étant assez mélodramatique, et on pourra estimer que Korda joue un peu trop sur le fil dramatique, mais le scénario et les personnages sont riches. Et surtout le film offre une belle réflexion sur la liberté de l’artiste. Rembrandt est victime du conservatisme religieux et artistique de son époque. S’il veut être libre, et n’en faire qu’à sa guise, il devra en payer le prix. C’est inévitable. Et ça rappelle étrangement le sort d’Alexander Korda qui devra toute sa vie affronter les réalités financières de ses choix artistiques et les réalités de son pays d’accueil qui ne se montrera pas toujours reconnaissant de ses efforts pour porter le cinéma britannique hors de ses frontières.

« Rembrandt » est disponible en DVD chez l’éditeur Elephant Films. La copie n’est pas parfaite, mais très acceptable pour un film de cette époque.

DVD zone 2 FR. Studio Elephant Films. Version originale sous-titrée en français. Supplément : présentation du film par Jean-Pierre Dionnet