Un gangster en cavale se réfugie chez une pop star sur le retour. Le film synthèse des excès des années 60 et sa pierre tombale
Performance (1970)
Réalisé par Donald Cammell et Nicolas Roeg
Ecrit par Donald Cammell
Avec James Fox, Mick Jagger, Anita Pallenberg, Johnny Shannon, Michèle Breton,…
Direction de la photographie : Nicolas Roeg / Direction artistique : John Clark / Montage : Antony Gibbs, Brian Smedley-Aston et Frank Mazzola / Musique : Jack Nitzsche
Produit par Sanford Lieberson pour Goodtimes Enterprises
Crime / Drame
105mn
UK
Chas (James Fox) est un gros bras pour un mafieux londonien, Harry Folowers (Johnny Shannon). Mais il s’attire la colère de son patron suite à un incident, et doit fuir. Par un concours de circonstance, il trouve refuge dans le sous-sol d’une maison appartenant à une star du rock sur le retour, Turner (Mick Jagger) qui y vit dans la réclusion avec ses deux petites amies Pherber (Anita Pallenberg) et Lucy (Michèle Breton). Chas pense avoir trouvé la planque idéale, mais doit faire face à des individus « décadents » qu’il ne comprend pas et va rapidement perdre pied avec la réalité.
« Performance » est un film d’une précision quasi maniaque. Les cadrages, le montage, la musique,.. Tout est parfaitement imbriqué pour un résultat à la fois déroutant mais qui semble proposer une synthèse quasi parfaite de la lame de fond qui a secoué Londres et l’Angleterre au cours des années 60. Violence, sexe, drogue et rock’n’roll ! Le film balance constamment entre dynamisme créatif et décadence, mysticisme et sensualité, amour libre et violence déchaînée, réalité crue et fantasme psychédélique, hétérosexualité exacerbée et désirs homosexuels, vie et mort !
« On a donc un film qui saisit vraiment les années 60, avec l’incroyable ressource de l’oeil de Roeg et de l’esprit de Cammell » résume l’un des intervenants dans le documentaire « Performance: influence and controversy » qu’on retrouve sur le DVD du film (DVD qui date un peu – il est assez incroyable que « Performance » n’ait pas eu encore droit à une sortie blu-ray !).
« Performance » est écrit et co-réalisé par Donald Cammell. Ce dernier était au début des années 50 un peintre bénéficiant d’une petite notoriété à Chelsea avant de partir s’installer à New York. Puis en 1961 il débarque à Paris où il rencontre des représentants de la nouvelle vague française et tombe amoureux du cinéma. En 1968, il co-signe le scénario de « Duffy » pour Robert Parrish et une première version du scénario de « The Touchables » (1968).
C’est de cette époque parisienne que date le premier traitement de « Performance ». De retour à Londres, il re-travaille le script avec David Litvinoff, un individu polymorphe qui connaît parfaitement la scène criminelle à Londres. Au générique, Litvinoff sera crédité comme coach pour les dialogues et conseiller technique. C’est Sanford Lieberson, l’agent de Cammell, et également agent des Stones, qui a accepté de produire le film, sans aucune expérience préalable du cinéma.
Le rôle de Chas avait été imaginé par Cammell pour Marlon Brando qu’il avait renconré à Paris. Mais c’est un acteur très différent qui va dégoter finalement le rôle, James Fox. Même s’il avait déjà incarné des rôles complexes et dangereux, James Fox avait plutôt l’habitude de jouer des personnages bien nés (The Servant, 1961). Pour interpréter un gangster cockney, il a passé plusieurs semaines dans le sud de Londres et a suivi des cours auprès d’un coach vocal (Johnny Shannon qui joue également le rôle du mafieux dans le film !).
Pour Mick Jagger c’était une première. Même s’il était déjà à l’époque une star accomplie du rock (les Rolling Stones existait déjà depuis 18 ans), il n’avait jamais joué dans un film. Mais évidemment c’était une perspective alléchante et sa présence au générique permit au producteur de conclure un accord avec la Warner en 72 heures !
Nick Roeg a été amené sur le projet comme directeur photo mais aussi comme co-réalisateur (responsable de l’aspect technique de la réalisation) face à Cammell qui en matière de cinéma n’avait jusqu’à présent travaillé qu’au scénario et qui sur le plateau se consacrait essentiellement à la direction des acteurs. D’après le producteur, la fusion pendant le tournage entre Cammell et Roeg était totale, et le résultat porte la marque des deux hommes.
Si dans le script original, la 2e partie parlait beaucoup de drogues, l’équilibre du film a été changé pendant le tournage et au final se concentre sur le trio formé par Chas, Turner et Pherber. Cammell a glissé de nombreuses références à la littérature contemporaine (surtout Borges dont il est fan mais aussi Burroughs, Genet, Artaud) et à la musique bien sûr (Robert Johnson,…),…
On pouvait s’y attendre, la Warner Bros n’a pas supporté le résultat final. La projection privée à Los Angeles fut un désastre. La Warner était horrifiée aussi bien par la violence, le sexe omniprésent que par l’apparition tardive de Jagger à l’écran (LA raison pour laquelle ils avaient décidé de s’investir dans le projet). Cammell et Roeg ne perdent pas pour autant le contrôle du projet. Mais Roeg doit partir en Australie pour filmer « Walkabout » et Cammell refait le montage à Los Angeles avec un nouveau monteur, Frank Mazzola.
Le résultat est accepté par la Warner mais le studio enterre le film, ne sachant qu’en faire. Avec le temps, « Performance » acquerra cette patine culte qui en fait aujourd’hui l’un des films de référence sur le bouleversement du Londres des années 60.
Si Roeg a eu depuis la carrière qu’on sait, Cammell est toujours resté en marge, et son intransigeance lui vaudra des problèmes avec les studios. Il signera encore trois longs métrages : le film de SF horrifique « Demon Seed » (1977), les thrillers « White of the Eye » (1987) et « Wild Side » (1995). Il se donnera la mort en 1996.
Le film ne portera pas non plus chance à ses interprètes. James Fox, l’un des talents les plus prometteurs des années 60, plongera dans une dépression qui le tiendra éloigné des écrans pendant quasiment toute la décennie suivante, et Mick Jagger, malgré une double tentative en 1970 avec également « Ned Kelly » de Tony Richardson, n’arrivera pas à s’imposer en tant qu’acteur.
DVD zone 2 FR. Studio Warner Home Video (2007). Version originale sous-titrée en français et version française. Bonus : documentaire : « Performance: influence and contorversy » (24′, vostfr), « Memo from Turner » (4′, vostfr), bande annonce