Film culte par excellence « Peeping Tom » garde aujourd’hui toute sa puissance
peeping tom - le voyeur

Peeping Tom (1960)

(Le voyeur)

Réalisé par Michael Powell

Ecrit par Leo Marks

Avec Karlheinz Böhm, Anna Massey, Moira Shearer, Pamela Green,…

Directeur de la photographie : Otto Heller

Produit par Nat Cohen, Stuart Levy et Michael Powell

Thriller / Horreur

101 mn

UK

Mark Lewis (Karlheinz Böhm) a passé son enfance sous l’oeil de la caméra de son père. Ce dernier, biologiste (Michael Powell) était fasciné par la réaction de la peur sur le système nerveux et utilisait son fils comme cobaye. En grandissant, Mark a développé une fascination pour la peur de la mort et filme des jeunes femmes qu’il est sur le point de tuer.

Le Voyeur 1960 Affiche« Peeping Tom » nous propose de suivre un serial killer qui filme l’agonie et la peur de ses proies en train de mourir ! Un concept effrayant. D’autant que le film n’essaie pas de créer une distance avec le tueur. « Peeping Tom »  est largement montré de son point de vue. Jeune homme blond discret, introverti et sensible, Mark Lewis est un cameraman pour la publicité et photographe pornographique pour une petite boutique de Soho.

Le film affiche une tension constante. Il commence par un meurtre filmé en vue subjective à travers la caméra de Mark. La musique au piano composée par Brian Easdale renforce le sentiment d’oppression, tout comme la photographie d’Otto Heller avec ses couleurs vives qui virent au rouge dans le labo de Mark.

« Peeping Tom » arrive sur les écrans alors que se développent en Angleterre les revues érotiques vendues sous le comptoir et qu’allaient apparaître les premiers films de sexploitation (déguisés sous la forme de documentaires sur le nudisme pour contourner la censure). Pamela Green, l’une des icônes de cette période, joue d’ailleurs dans « Peeping Tom » le rôle de l’un des modèles. Elle montre ici brièvement ses seins. Une première pour le cinéma britannique. L’année suivante on la verra dans l’un des premiers films de nudistes »Naked as Nature Intended ».

Violemment rejeté à sa sortie, « Peeping Tom » est devenu au fil de temps le film culte par excellence. Et pour cause. Parabole scandaleuse sur le métier de cinéaste et la position de voyeur du spectateur, la créature a détruit la carrière de l’un des plus grands cinéastes du monde.

Le scénariste Leo Marks était un cryptographe pendant la seconde guerre mondiale qui avec son service constitué de 400 femmes a joué un rôle important dans la victoire des alliés (voir le passionnant documentaire « A Very British Psycho » (1997) compris dans le coffret Institut Lumière). Ca ne fait aucun doute qu’on retrouve un peu la personnalité complexe et perverse de Leo Marks dans le personnage de Mark Lewis (comme celle de Powell).

Pour le critique Alexander Walker, Powell s’était permis de filmer son propre snuff movie. Et ce qui a sûrement le plus choqué la critique, c’était la sympathie avec laquelle Karlheinz Böhm (alors célèbre pour avoir joué le rôle de l’empereur Franz Josef dans Sissi aux côtés de Romy Schneider !) a interprété le rôle de Mark et la compassion de Powell pour ce même tueur. Détail encore plus choquant, Powell joue lui-même le père cruel du tueur et fait jouer son fils Columba dans le rôle de Mark enfant ! C’en était probablement trop.

Lors de la première du film, les invités sont sortis de la projection sans même un regard pour Powell et Karlheinz Böhm. La presse se déchaîne et le film ne reste qu’une semaine sur les écrans britanniques.

Powell est estomaqué devant les réactions hystériques (non sans oublier son sens de la provocation) :

« (Selon les critiques), le film était plein de compassion pour un tueur diabolique. Mais pour moi ce n’était pas un tueur diabolique, c’était un cameraman ».

Bien sûr, on peut dresser le parallèle avec « Psycho » d’Hitchcock sorti trois mois plus tard. Tous deux dressent le portraits de deux jeunes hommes asociaux, obsédés par une figure parentale, qui tuent pour faire plaisir à cette figure (et incarnés à l’écran par des acteurs qui avaient une image  de jeunes premiers). Mais il y a une grande différence entre ces deux tueurs. Norman Bates est inquiétant du début à la fin, on ne s’identifie jamais au personnage. On ne peut pas avoir de la sympathie pour lui. Le personnage de Mark Lewis est bien plus ambivalent – et sa « petite amie » ne peut se résoudre à le condamner même quand elle apprend la vérité. En ce sens, « The peeping Tom » est un film bien plus dérangeant et avant-gardiste (et bien plus profond au niveau psychologique).

Ironiquement, de tous les films magistraux qu’il a légué, « Peeping Tom » est aujourd’hui probablement le plus commenté, le plus regardé, le plus respecté. C’est par ce film qu’il a été redécouvert par les jeunes turcs du cinéma américain, Scorcese en tête, dans les années 70.

Laissons la conclusion à Powell dans une note destinée à sa femme Thelma chargée de finir la deuxième partie de son autobiographie :

« Quand je parle du Voyeur et cite les choses horribles que les critiques ont écrites, j’aimerais le faire plus en profondeur qu’en longueur. J’aimerais les citer, l’un après l’autre, plus leurs propos sont choquants, mieux cela vaudra. Laissé à moi-même, je fais un film que personne ne veut voir et puis, trente ans plus tard, tout le monde l’a vu ou bien veut le voir. »

DVD Institut Lumière. Zone 2 FR. Version originale sous-titrée. Nombreux bonus et livret de 46 pages. Disponible en coffret seulement (avec deux autres films de Powell). Il est aussi disponible DVD simple Sutdio Canal mais sans aucun bonus à ma connaissance