Launder et Gilliat signent encore une fois un modèle de thriller original avec cette fois un thème particulièrement audacieux et une Deborah Kerr magnifique
I See a Dark Stranger (1946)
(L’étrange aventurière)
Réalisé par Frank Launder
Ecrit par Frank Launder, Sidney Gilliat et Wolfgang Wilhelm
Avec Deborah Kerr, Trevor Howard, Raymond Huntley,…
Direction de la photographie : Wilkie Cooper / Production design : David Rawnsley / Direction artistique : Norman G. Arnold / Montage : Thelma Connell / Musique : William Alwyn
Produit par Sidney Gilliat et Frank Launder
Comédie / Guerre / Thriller / Romance
UK
Bridie Quilty (Deborah Kerr), une jeune irlandaise, a grandi dans un petit village en écoutant les souvenirs révolutionnaires de son père qui s’est battu contre les Anglais. En 1944, âgée de 21 ans, elle décide de se rendre à Dublin dans l’espoir rejoindre les rangs de l’IRA. Mais le célèbre camarade de la révolution dont son père lui a tant parlé, ne semble guère se souvenir de son père et surtout refuse de la mettre en contact de l’IRA. Elle rencontre un certain Miller (Raymond Huntley) qu’elle prend pour un vulgaire Anglais mais qui se trouve être un espion allemand. Ensemble ils vont s’installer dans une petite ville irlandaise pour préparer l’évasion d’un autre espion attrapé par la police, et qui aurait des informations très importantes. Miller demande à Bridie Quitly de détourner l’attention d’un officier militaire britannique des renseignements, David Baynes (Trevor Howard). Mais les événements vont se précipiter et Bridie va se trouver seule avec une mission dangereuse qui l’amènera sur l’île de Mann.
« I See a Dark Stranger », sorti un an après la fin de la guerre, raconte l’histoire d’une jeune irlandaise qui hait tellement les Anglais, et leur fichu Cromwell, qu’elle décide d’aider les Allemands ! Il faut se rappeler que l’IRA, qui continuait à se battre contre le traité de 1921 qui entérina notamment la séparation de l’Irlande en deux, a déclaré la guerre contre la Grande-Bretagne en janvier 1939, soit neuf mois avant que cette dernière déclare la guerre à l’Allemagne. L’IRA commence dès début 1939 des actions de sabotage et des attentats, en vue de s’attirer les faveurs des Allemands, les seuls selon eux à pouvoir vaincre la Grande-Bretagne et conduire à la réunification de l’Irlande. Beaucoup de membres de l’IRA sont alors fait prisonniers en Irlande et en Grande-Bretagne, dont certains exécutés. L’IRA y perd son état major et nombre de ses troupes. Elle déclarera finalement un cessez-le-feu tardif avec la Grande-Bretagne en mars 1945.
Dans le film, Bridie tombe sur des espions allemands, mais il ne semble pas qu’elle rencontre effectivement des membres de l’IRA. Elle ira en tout cas très loin dans son soutien aux Allemands !
C’est un sujet pour le moins étonnant pour une comédie d’espionnage, alors qu’en 1946 la Grande-Bretagne en est encore à panser ses plaies. « I see a Dark Stranger » évite néanmoins la polémique en faisant des espions allemands les vrais méchants et en proposant une forme d’absolution. Bridie incarne une partie de l’Irlande qui ne pardonne pas aux Anglais d’avoir coupé en deux leur pays. Mais elle finira par se rendre compte, de justesse, qu’un Anglais (en l’occurence Trevor Howard) vaut toujours mieux qu’un Allemand !
A l’origine de ce thriller, avec des gros morceaux de comédie et de romance, on retrouve les scénaristes-réalisateurs et producteurs Frank Launder et Sidney Gilliat. Le duo est à l’époque déjà fameux pour deux grands exemples du même acabit : « The Lady Vanishes » (1938) pour Alfred Hitchcock et « Night Train to Munich » (1940) pour Carol Reed. D’ailleurs les deux personnages communs de ces deux films, les hilarants Charters et Caldicott, devaient également faire leur apparition dans ce film-ci, mais les deux acteurs originaux (Basil Radford et Naunton Wayne) auraient demandé plus de temps d’écran. Les deux policiers de l’Ile de Mann dans « I See a Dark Stranger » en sont néanmoins de bonnes copies !
Launder et Gilliat maitrisent encore une fois à merveille ce mélange étonnant de genres. L’intrigue n’est pas toujours facile à suivre, mais le duo formé par Deborah Kerr et Trevor Howard fonctionne très bien. Deborah Kerr, une Ecossaise (!), est juste sublime et parfaite dans ce rôle assez complexe et audacieux.
Deborah Kerr n’avait à l’époque que quelques têtes d’affiche à son actif, tournées pendant la guerre, dont « Love on the Dole » (1941) et « The Life and Death of Colonel Blimp » (1943). Elle enchainera avec « Black Narcissus » (1947) avant de partir à Hollywood, au grand désespoir de Michael Powell ! De son côté, Trevor Howard n’avait tourné préalablement que trois films, mais le dernier en date avait fait de lui une star : « Brief Encounter » (1945) pour David Lean.
DVD zone 2 FR. Studio Elephant Fims (2015). Version originale sous-titrée en français. Bonus : présentation du film par Jean-Pierre Dionnet