Cette année, après mûre réflexion, les Écrans Britanniques de Nîmes ont décidé de reporter leur festival, traditionnellement tenu en mars. Vu les circonstances actuelles, ils ont décidé d’organiser un week-end online à la mi-mars et de décaler leur festival à fin mai/début juin en espérant que d’ici là une accalmie de la crise sanitaire permettra la réouverture des cinémas.
Je me dois de préciser que je participe au festival que j’apprécie beaucoup depuis déjà cinq-six ans, d’abord en tant qu’invité, puis en collaborant de plus en plus à la programmation. Cette année, je me suis particulièrement impliqué dans l’organisation de ce week-end online.
C’était en tout cas un sacré pari et je suis fier d’avoir participé à cette première pour l’association. Si pour un festival, c’est compliqué de virtualiser les moments de rencontre et de partage dans les salles qui en forment l’essence, il devient impossible de mettre éternellement la culture entre parenthèses.
Les cinémas n’étaient certainement pas un des principaux foyers de contamination. Depuis leur réouverture après le premier confinement, les règles sanitaires étaient strictes (siège vide pour séparer les groupes, port du masque pendant la séance,…). Et pourtant le gouvernement, de manière incompréhensible, a décidé de plonger le pays entier dans un état de semi confinement permanent qui impliquait notamment la fermeture jusqu’à nouvel ordre de tous les lieux culturels, sans aucune exception. Alors même qu’hypermarchés, écoles et entreprises étaient ouverts et les transports en commun bondés.
En tant que festival, les Ecrans Britanniques ont donc décidé de travailler avec la 25e Heure qui propose depuis mars 2020 un système de salles virtuelles. Ce qui a rendu possible le fait de travailler sur des idées de séances en ligne.
Un pari loin d’être gagné de prime abord. Comment allaient réagir les partenaires des Ecrans Britanniques et les habitués ? Qui avait envie de se retrouver devant un écran d’ordinateur ou une télévision, encore et toujours ? Un festival de cinéma sans salles de cinéma n’était-ce pas déjà une contradiction dans les termes ?
Partant du fait qu’il est important de continuer de diffuser les oeuvres et que l’association avait besoin de garder contact avec ses habitués, Ecrans Britanniques a décidé de tenter le pari. Un week-end online avec la projection d’œuvres rares en hommage à quelques grands disparus (Sean Connery, Diana Rigg, John Hurt, John Le Carré) et d’un film sur le thème de l’égalité. Chaque projection étant, fait important, précédée d’une présentation et suivie d’une séance de questions/réponses.
Avec Bernard Raynaud, président de l’association Ecrans Britanniques, et avec le soutien du bureau, nous nous sommes attaqués aux questions des droits. Évidemment, nous avons pêché par naïveté. Diffuser des films de patrimoine sur une nouvelle plate-forme (la 25e heure) allait s’avérer compliqué. La 25e Heure, même si elle dispose de l’agrément du CNC, peut paraître, si on est un peu trop hâtif, comme un simple service VOD. Et quand on tente de programmer des séances avec des films de catalogue appartenant à de gros studios, il faut s’attendre à des soucis, même si on décide d’organiser des séances 100% gratuites pour le public. Après tout ce n’est pas parce que vous organisez des séances gratuites, qu’il faut faire l’impasse sur les questions de copyright. Il va falloir obtenir les autorisations et s’acquitter de certaines dépenses. Normal.
La lutte fut longue et acharnée. Mais les Écrans Britanniques, forts de 23 éditions de son festival créé par Francis Rousselet, bénéficie d’une excellente réputation. Un petit festival, sans grands moyens, mais droit dans ses bottes et ambitieux. Une fois les premiers choix de programmation effectués, les invités potentiels (dont beaucoup étaient déjà venus à Nîmes) ont dit oui avec enthousiasme. Et quand vous avez des réalisateurs comme Gurinder Chadha, Michael Radford ou encore John Boorman (!) qui disent oui, comment les choses ne peuvent-elles avancer dans la bonne direction ?
Nous nous sommes rapidement retrouvés avec une affiche alléchante avec :
« Bend it like Beckham » (2002) réalisé par Gurinder Chadha
« The Frightened City » (1961) réalisé par John Lemont (hommage à Sean Connery)
« 1984 » (1984) réalisé par Michael Radford (hommage à John Hurt)
« Our kind of traitor » (1961) réalisé par Susanna White (hommage à John Le Carré)
« The Avengers » (Chapeau melon et bottes de cuir) (hommage à Diana Rigg)
« Zardoz » (1974) réalisé par John Boorman (hommage à Sean Connery)
Reste qu’il nous fallait à présent trouver les droits pour une nouvelle sorte de distribution cinématographique, sortant des sentiers battus. Ce n’était pas une projection cinéma (même si ça veut s’en rapprocher le plus) mais encore moins de la VOD. Donc à qui s’adresse-t-on ? Trouver les bons interlocuteurs n’a pas été chose facile. Mais aussi bien StudioCanal, la MGM (pour « 1984 ») et Disney/Fox (pour « Zardoz ») ont été à nos côtés.
Sur six séances, cinq se sont fait 100% en ligne, mais pour le film d’ouverture, « Bend it like Beckham », co-organisée avec la Maison de la Région de Nîmes, la projection s’est faite dans deux établissements scolaires nîmois et ces derniers ont participé directement via vidéo à la séance de questions réponses avec la réalisatrice. Un sacré pari technique alors que pour nous tous, c’était une première.
Je me suis rendu à Nîmes le matin même du début du festival. Bernard Raynaud, président du festival, m’a hébergé avec le sens de l’hospitalité qui le caractérise. Et nous avons animé les séances avec Isabelle Cases, directrice artistique du festival. Tout cela avec l’aide de Gilles Thomat, directeur technique. Petit détail amusant, mais loin d’être anecdotique, nos interventions ont été enregistrées dans une petite salle de projection privée des environs de Nîmes, créée par un Anglais fou d’opéra. Un sacré décor qui nous a permis de garder un pied dans la fantaisie.
Quel bilan après trois jours et six projections ? Je suis très heureux d’avoir participé à cette aventure cinématographique si spéciale. Avoir trois réalisateurs qui discutent de leur film dans la bonne humeur et la décontraction (Gurinder Chadha, Michael Radford et Susanna White) était un privilège rare. Alors oui, John Boorman, plus tout jeune, nous a fait faux bon au dernier moment. Mais l’artiste irlandais multi facettes Michael Callan, invité comme biographe de Sean Connery, s’est révélé un puits de science et a assuré les questions réponses pour « The Frightened City » et « Zardoz ». Et pour Diana Rigg, nous avons pu bénéficier de la présence de l’expert français de la série The Avengers, Alain Carrazé.
Pas mal pour une première. D’autant que le festival en ligne, dont on a communiqué la programmation que quelques jours avant son inauguration, a été un franc succès, attirant environ 1000 spectateurs pour six séances. Sans compter les deux classes connectées pour « Bend it like Beckham ».
Quel que soit le futur des Ecrans Britanniques, et en croisant les doigts pour une réouverture au plus vite des salles, cette expérience restera marquante en ce qui me concerne. Et je suis heureux que le digital permette a minima de conserver les liens et d’attirer de nouveaux publics.
Je donne rendez-vous aux Écrans Britanniques et au public en juin prochain pour le festival. Qui on l’espère bien se fera avec les salles ouvertes. Mais on sait désormais que des séances virtuelles ou hybrides (qui permettent une diffusion simultanée en salle et en ligne) nous offrent des perspectives nouvelles, et que quoi qu’il se passe, nous serons toujours présents. Pour le public. Pour le cinéma.
Nicolas Botti
PS : un grand merci à l’intégralité du CA de Ecrans Britanniques et aux bénévoles (Sol bien sûr, Jean et tous les autres), à l’équipe de la 25e Heure (Manon, Hélène, Maxime,…) et aux studios qui nous ont suivi (StudioCanal, MGM, Disney)