Une très belle prestation de Donald Pleasance et une photographie de Nicolas Roeg sauvent-ils un film plombé par une lecture discutable d’un des cas criminels britanniques les plus célèbres du début du XXe siècle ?
Dr. Crippen (1963)
Réalisé par Robert Lynn
Ecrit par Leigh Vance
Avec Donald Pleasence, Samantha Eggar, Coral Browne, Donald Wolfit, James Robertson Justice,…
Directeur de la photographie : Nicolas Roeg / Direction artistique : Robert Jones / Montage : Lee Doig / Musique : Ken Jones
Produit par John Clein pour Torchlight Productions
Crime / Drame
98mn
UK
L’histoire du tueur de Camden Town a fait sensation à son époque en 1910. Le Dr Crippen était un américain installé à Londres en 1898 avec sa femme Cora, une chanteuse de music hall sans succès ayant pour nom de scène Belle Elmore. Ils avaient une grande maison et accueillaient des locataires pour compenser les revenus modestes du Dr Crippen. Alors que Cora se serait entiché d’un locataire, le Dr Crippen lui a entamé une relation avec sa secrétaire, Ethel.
Quand Cora disparait le 31 janvier 1910, le Dr Crippen annonce qu’elle est partie aux USA, puis plus tard qu’elle y serait décédée. Mais inquiet après une visite de Scotland Yard, il s’enfuit avec Ethel pour le Canada. Il se rase la moustache, Ethel s’habille en garçon et se fait passer pour son fils, mais le capitaine de bateau, qui a eu vent de l’histoire grâce aux unes de journaux, cable à Scotland Yard ses soupçons. Le couple est rattrapé avant de débarquer, d’autant qu’entre temps des restes humains (seulement une partie d’un tronc) ont été découverts dans la cave. Le couple est rapidement renvoyé en Angleterre où le Dr. Crippen sera jugé et pendu.
Voici pour le contexte. L’affaire a fait l’objet de plusieurs films et romans. La culpabilité du Dr. Crippen est encore aujourd’hui discutée et en 2007 une équipe américaine a déclaré que les restes humains découverts par Scotland Yard étaient ceux… d’un homme !
Cette affaire a fait grand bruit à l’époque à cause de la nationalité américaine et des professions du couple, de la double histoire d’adultère mais aussi du fait des innovations mises en oeuvre pour l’arrestation et la condamnation de Crippen ; la découverte de traces de médicaments dans l’abdomen du tronc, ou encore l’usage par le capitaine du bateau d’un télégraphe sans fil (chose très rare à l’époque) pour alerter les autorités britanniques.
Cette version cinématographique de la fameuse histoire n’est pas la première (il y a eu un film allemand en 1942). Le scénariste Leigh Vance donne ici sa propre version de l’histoire qui va plutôt dans le sens du Dr. Crippen (incarné avec maestria par Donald Pleasance) qui l’aurait effectivement tuée… mais par erreur. Ethel, jouée par la superbe Samantha Eggar, est une jeune femme simple et très amoureuse. Quant à Cora/Belle, interprétée par Coral Browne, elle est ici montrée comme une alcoolique vulgaire et nymphomane ! Un parti pris pour le moins discutable, les détails sur la personnalité réelle de Coral – ou que sa relation réelle avec son mari – étant aussi discutés que le cas lui-même.
« Dr. Crippen » nous raconte les faits à l’occasion du procès avec des flashbacks pour les scènes importantes. Une mise en scène signée Robert Lynn (formé à la télévision et assistant réalisateur sur les trois premiers Superman avec Christopher Reeve) assez convenue mais qui fonctionne plutôt bien. La photographie en noir et blanc profite du talent d’un jeune Nicolas Roeg qui travaille la même année sur « The Caretaker« ).
« Dr. Crippen » reste une bonne fiction sur une histoire criminelle pour le moins rocambolesque et portée par un excellent Donald Pleasance… Mais en termes de véracité historique, ce « Dr. Crippen » paraît donc discutable et surtout le personnage de Cora semble caricaturé à l’extrême. Un docudrama à sensation récent (ajouté judicieusement par l’éditeur anglais Umbrella sur le blu-ray du film) raconte d’ailleurs une histoire bien différente de celle qui nous est racontée dans le film (mais pas forcément beaucoup plus crédible !). Après tout, quand le mystère demeure, toutes les interprétations sont possibles.
Blu-ray UK. Studio Umbrella (2023). Version originale avec sous titres optionnels. Bonus ; commentaire audio par les historiens du ciénma Jonathan Rigby et Kevin Lyons, interview de Kim Newman sur la carrière de Donald Pleasance, et l’épisode de l’émission « Murder Maps » consacrée au Dr. Crippen