Un thriller fantastique sombre de Mike Hodges qui mérite bien mieux que l’oubli dans lequel il est tombé. A (re)découvrir !
Black Rainbow (1989)
Ecrit et réalisé par Mike Hodges
Avec Rosanna Arquette, Jason Robards, Tom Hulce, John Bennes, Ron Rosenthal,…
Direction de la photographie : Gerry Fisher / Direction artistique : Patricia Klawonn / Montage : Malcolm Cooke / Musique : John Scott
Produit par Geoffrey Helman et John Quested pour Goldcrest
Thriller / Fantastique
103mn
UK
Gary Wallace (Tom Hulce) est à la recherche de Martha Travis (Rosanna Arquette), une jeune femme clairvoyante disparue dix ans plus tôt, suite au meurtre de son père. Flash-back. Martha et son père Walter (Jason Robards), un alcoolique désabusé et cynique, arrivent à Oakville. Martha doit assurer un spectacle de médium chrétienne en robe blanche avec chorale gospel. Martha peut entendre les voix des défunts des spectateurs (enfin c’est ce que son père veut faire croire). Le premier soir, elle parle à un homme assassiné… sauf que selon sa femme, il n’est pas mort ! Il sera assassiné le soir même, attirant l’attention du journaliste local Gary Wallace.
Enfin disponible en Blu-ray grâce à l’éditeur anglais Arrow, « Black Rainbow » faisait partie de ses films disparus dans les limbes de l’oubli. Était-ce mérité ?
« Black Rainbow » a été financé par Goldcrest Films, une société de production britannique emblématique des années 80 et à qui on doit « Chariots of Fire » (1981), « Gandhi » (1982) ou encore « The Killing Fields » (1984). Mais rapidement, à partir du milieu des années 80, Goldcrest n’est que l’ombre d’elle-même suite aux désastres de « Revolution » (1985) et d' »Absolute Beginners » (1986). À sa sortie, « Black Rainbow » a été enterré par le distributeur américain Miramax. Malgré quelques sorties prometteuses dans des festivals où il décroche plusieurs prix, « Black Rainbow » n’aura jamais de véritable sortie en salles. Miramax décide de le distribuer sur le câble… deux ans plus tard… et puis plus rien ou presque (à noter que le film est quand même sorti en VHS puis en DVD en 2004, mais sans grand bruit).
Pourquoi une telle destinée ? Difficile d’y répondre, voici en tout cas quelques pistes. D’abord parce que ce thriller fantastique décontenance et provoque le spectateur. Le ton est sombre et le film aborde nombre de sujets sensibles : l’exploitation d’une fille par son père, les spectacles de médiums et prédicateurs qui traversent la « Bible Belt » du sud des Etats-Unis, la corruption dans une petite ville qui conduit au meurtre d’un syndicaliste lanceur d’alerte dont le seul crime est d’avoir voulu dénoncer une pollution industrielle distillée par le seul employeur de la ville, une usine chimique ! Hodges nous livre une histoire profondément pessimiste de l’humanité, ce qui est moyennement marketable.
Ensuite il est possible que Miramax ait décidé que vu le profil du réalisateur et des acteurs, il aurait du mal à le vendre au public.
« Black Rainbow » est réalisé par Mike Hodges, autrefois réalisateur adulé grâce à son premier film « Get Carter » (1971) mais qui alors enchaînait les déconvenues. Son film de SF épique « Flash Gordon » (1980) n’a pas eu le succès escompté par ses producteurs, sa comédie SF « Morons from Outer Space » (1985) a été mal reçue et son thriller ambitieux « A Prayer for the Dying » (1987) avec Mickey Rourke a été détruit au montage, au point que Mike Hodges a demandé à ce que son nom soit retiré du générique.
Au niveau casting, l’actrice américaine en tête d’affiche, Rosanna Arquette venait de tourner « Le grand bleu » (1988) mais ses derniers gros succès aux US dataient de quatre ans déjà : « After Hour » (1985) de Scorcese et « Desperately Seeking Susan » (1985) de Susan Seidelman. Quant à Tom Hulce, il était surtout connu pour avoir joué Mozart dans « Amadeus » (1984) de Milos Forman, mais quasiment rien depuis.
Soit, un autre Anglais, Alan Parker, avait mis les pieds dans le hamburger l’année précédente avec son film « Mississippi Burning » (1989). Mais c’était un projet porté par un grand studio américain (MGM). Ici il a été facile pour Miramax d’enterrer un film produit par un studio britannique sur le déclin et commercialement moyennement prometteur.
Mais au moins est-ce un bon film ? « Black Rainbow » n’est pas sans défaut. Il est un peu lent et surtout essaie de dire trop de choses en même temps. Mais le film dégage une ambiance intéressante, notamment grâce à une excellente photo et un scénario pas parfait mais intriguant et qui nous livre de bons personnages portés à l’écran par un casting solide (outre Rosanna Arquette qui joue l’un des rôles les plus intéressants de sa carrière, notons particulièrement Jason Robards qui est excellent dans le rôle du père, ainsi que John Bennes dans celui du patron de l’usine chimique – deux personnages qui se rapprochent par leur cynisme – qui est ceci dit une caractéristique prédominante chez tous les personnages principaux de « Black Rainbow » – mis à part Martha).
« Black Rainbow » est donc un film qui mérite d’être vu. Goldcrest voulait faire un nouveau « Elmer Gantry » (un classique de la littérature américaine adapté au cinéma par Richard Brooks en 1960). Mike Hodges est arrivé avec un scénario tout prêt sur lequel il avait commencé à travailler vingt ans plus tôt alors qu’il travaillait comme documentariste pour la télévision britannique. Pendant un séjour aux USA, il avait été intrigué par l’ambiance des villes américaines de la « Bible Belt » qu’il avait traversées et notamment la désertification de ces villes abandonnées par les jeunes partis vivre dans des grandes villes, la pression voire la violence que subissaient les syndicalistes, ainsi que l’omniprésence de la religion.
Cette ambiance inquiétante et malsaine de l’Amérique profonde est bien rendue dans « Black Rainbow » et c’est une belle réussite signée Mike Hodges, qu’on peut donc aujourd’hui redécouvrir dans des conditions optimales avec une très bonne copie, des sous-titres anglais, et de nombreux bonus. On aurait tort de s’en priver.
Blu-Ray UK. Studio Arrow Video (2020). version originale avec des sous-titres anglais. Bonus : livret de 20 pages, commentaire audio, making of, interviews d’époque,…