Une satire féroce de l’Amérique consumériste et maccarthyste par un Charles Chaplin exilé acerbe, anarchique et rebelle. Un film imparfait mais passionnant
A King in New York (1957)
(Un roi à New York)
Ecrit et réalisé par Charles Chaplin
Avec Charles Chaplin, Oliver Johnston, Maxine Audley, Jerry Desmonde, Dawn Addams, Michael Chaplin, Sidney James,…
Direction de la photographie : Georges Périnal / Direction artistique : Allan Harris / Montage : John Seabourne Sr. / Musique : Charles Chaplin
Produit par Charles Chaplin
Comédie
110mn
UK
Le roi Shahdov (Charles Chaplin), un dictateur d’Europe centrale, se réfugie à New York suite à une révolution dans son pays. Il pense être parti avec les caisses, mais son Premier ministre s’est envolé avec l’argent. Le voilà ruiné, dans une chambre du Ritz avec pour seule compagnie son ambassadeur (Oliver Johnston). Mais une spécialiste de la publicité Ann Kay (Dawn Addams) lui tend un piège et le voilà en direct à la télé en train de réciter Hamlet lors d’un repas bien arrosé. Tout à coup, Shahdov devient une star et toutes les marques se l’arrachent pour des publicités. Lors d’une visite d’une école, il fait la connaissance du jeune Rupert (Michael Chaplin), une tête à claques qui lit Marx et donne des leçons de politique. Quelque temps plus tard, Shahdov croise le gamin en bas de son hôtel. Rupert s’est échappé de son école, pour ne pas avoir à dénoncer ses parents accusés d’être des communistes.
Alors qu’il part en Angleterre pour la promotion de « Limelight » en 1952, les autorités américaines retirent à Charles Chaplin son droit de séjour. S’il veut revenir, il devra se soumettre à des questions en règle sur ses opinions politiques. Arrivé aux USA à l’âge de 19 ans et ayant fait carrière et fortune là-bas, il n’avait jamais adopté la nationalité américaine. Désormais accusé d’être un communiste dans le climat délétère du MacCarthysme, Chaplin renonce à y retourner et part s’installer début 1953 en Suisse. C’est là qu’il développe son nouveau projet de film « A King in New York ».
Chaplin a beau dire que la politique ne l’intéresse pas, ce film est un règlement de compte en bonne et due forme avec la société américaine qui l’a rejeté. Chaplin dénonce la dérive consumériste qui gangrène les esprits à travers la publicité omniprésente, le cinéma, la chirurgie plastique,… et aussi bien sûr la folie anticommuniste qui amène les autorités américaines à accuser tout le monde d’éprouver de la sympathie pour les idées promues de l’autre côté du rideau de fer. Le roi Shahdov en fera lui-même les frais d’une façon tragi-comique. Mais c’est encore une fois à travers un enfant (on pense forcément à « The Kid ») que Chaplin dénonce la cruauté des autorités qui n’hésiteront pas à faire pression sur le garçon de dix ans pour qu’il devienne une balance.
Chaplin a tourné « A King in New York » dans des conditions très inhabituelles pour lui. Habitué à travailler dans son propre studio à ses conditions, il se retrouve ici dans les studios de Shepperton avec des acteurs britanniques et doit limiter son tournage à 10 semaines pour ne pas exploser les coûts. Et de fait, « A King of New York » donne parfois l’impression d’avoir été produit à la hâte, sans laisser de temps pour les fignolages (que ce soit en termes de scénario ou de réalisation – on ne s’étonnera pas de savoir que Chaplin s’est accroché sur le tournage avec le légendaire et méticuleux directeur de la photographie Georges Périnal). C’est un peu foutraque, ça manque de lissage, mais ce côté brut est justement l’un des intérêts de « A King of New York ». Chaplin s’y montre quasi sans filtre, c’est un film hautement personnel. Il y laisse paraître, dans un joyeux désordre, toutes ses frustrations à l’égard de la société américaine.
Le film marque la dernière apparition de Chaplin en tant qu’acteur, puisqu’il ne jouera pas dans son tout dernier film « A Countess from Hong Kong » (1969). Excellente surprise du film, le fils de Chaplin, le jeune Michael, qui fait ici des débuts époustouflants devant la caméra dans le rôle de Rupert, le jeune garçon tête à claques mais sensible au destin assez effroyable (sans aucun sentimentalisme de la part de Chaplin, bien au contraire). Ça restera son unique rôle notable au cinéma, il s’est contenté sinon de petites apparitions. Parmi le casting anglais, notons les performances de Dawn Addams, une actrice qui a travaillé aussi bien en Angleterre, qu’en Europe et aux Etats-Unis, Oliver Johnston qui aura également un rôle, son dernier, dans « A Countess from Hong Kong » ou encore Syd James, fameux acteur comique qui deviendra une star grâce à sa participation aux films Carry On à partir du quatrième épisode, « Carry on, Constable » en 1960.
« A King in New York » qui sort en Europe à partir de septembre 1957, reçoit un bon accueil critique et public. Chaplin décide de ne pas le faire distribuer aux USA au vu de la réaction pusillanime de United Artists (l’accueil y aurait été glacial de toute façon vu le ton du film !). Il ne finira par y sortir qu’en 1973, amputé d’une dizaine de minutes. Installé en Europe, Chaplin est loin de rester inactif. Il s’assure la propriété de ses oeuvres de jeunesse, les remonte et refait la musique, sort en 1959 « The Chaplin review » qui regroupe trois courts-métrages de Charlot, sort son autobiographie en 1964 et tourne donc son dernier film en 1967. Il est mort le 25 décembre 1977 à l’âge de 88 ans.
DVD/Blu-ray FR. Studio MK2 (2005). Version originale sous-titrée en français et version française. Bonus : « Chaplin aujourd’hui : un roi à New York » (26mn), Préface de David Robinson (5mn), scènes coupées (22mn), mandolin serenade (3 mn)