L’apocalypse nucléaire vue à travers les yeux d’un vieux couple isolé dans la campagne anglaise. Un film d’animation très émouvant qui mérite d’être (re)découvert
When the Wind Blows (1986)
(Quand le vent souffle)
Réalisé par Jimmy T. Murakami
Ecrit par Raymond Briggs d’après son livre
Avec John Mills, Peggy Ashcroft,…
Direction artistique : Errol Bryant et Richard Fawdry / Musique : Roger Waters et David Bowie
Produit par John Coates
Animation / Drame
84mn
UK
Quand Jim Bloggs (John Mills), un paisible retraité, revient chez lui à la campagne après un passage en ville, il est inquiet. il a lu les nouvelles à la bibliothèque, et il semblerait bien que la guerre soit imminente. Jim et sa femme Hilda (Peggy Ashcroft) ont déjà survécu à la seconde guerre mondiale, mais celle-ci devrait être très différente. Et Jim suivant les conseils gouvernementaux, créé un abri anti-nucléaire de fortune dans son salon.
« When the Wind Blows » est à l’origine une BD signée Raymond Briggs. Celui-ci est très connu en Angleterre pour son livre d’illustration pour enfants « The Snowman » (1979) qui raconte l’amitié entre un bonhomme de neige et un enfant. L’histoire a été adaptée en court métrage d’animation en 1982 et est devenue un classique, diffusée chaque année outre-manche à l’occasion des fêtes de noël.
On est ici dans un dessin animé adulte d’un tout autre acabit mais qui s’inscrit finalement assez bien dans la courte tradition de longs métrages d’animation produits outre manche : « Animal Farm » (1954) ainsi que « Watership Down » (1978) et « The Plague Dogs » (1982) sont des films très sombres. Seule exception à la règle « The Yellow Submarine » (1968), le dessin animé psychédélique des Beatles.
L’idée incongrue de transformer une BD anti nucléaire en film d’animation vient du producteur John Coates. Ce neveu du mogul J. Arthur Rank était déjà à l’origine de l’adaptation de « The Snowman » et, désireux de faire un long métrage d’animation, s’est décidé sur un coup de tête d’adapter « When the Wind Blows ».
Il faut dire que le thème est à alors à la mode outre-manche. Peu de chanteurs et de groupes actifs dans les années 80 en Angleterre ont résisté au fait de consacrer une chanson au thème du risque nucléaire (Sting, Ultravox, OMD,,…). En 1984, la BBC a co-produit le téléfilm terrifiant « Threads », réponse efficace au « The Day After » sorti outre-atlantique un an plus tôt. Avec un Ronald Reagan belliqueux et farouchement anti-communiste, le risque d’une apocalypse nucléaire n’a jamais semblé aussi concret.
Loin de partir dans une surenchère spectaculaire comme nombre d’oeuvres de fiction de l’époque, Briggs apporte une touche bien personnelle en racontant l’apocalypse à travers les yeux d’un vieux couple anglais, installé à la campagne. Jim suit à la lettre les recommandations gouvernementales expliquées dans le livret « Protect and Survive » mis à disposition du public en mai 1980 et qui indique les démarches à suivre en cas de menace nucléaire !
Evidemment, les recommandations sont des plus futiles et parfois contradictoires, et Briggs s’amuse beaucoup à voir le pauvre Jim batailler avec les instructions. A part quelques figures croisées au début du dessin animé, quand Jim rentre en bus, nous suivons seulement Jim et Hilda. Jim tente de raisonner et de suivre les règles, tandis qu’Hilda peste à l’idée de voir sa maison transformer en abri nucléaire, et ne comprend pas que Jim fasse autant de foin avec cette nouvelle guerre : après tous ils ont survécu au blitz !
Briggs réussit à nous faire rentrer dans l’intimité du couple, l’amour touchant d’un couple qui a passé la grande majorité de leur vie ensemble. Ce sont deux personnes simples, coupées du monde, et qui sont convaincus que l’Etat fera ce qu’il faut pour les protéger. Evidemment, c’est cette confiance aveugle qui est source de la comédie noire et amère qui infuse le film jusqu’à une fin terrible par sa simplicité et son inéluctabilité.
Parfois un peu lent et caricatural (les personnages peuvent agacer à force de naïveté), « When the Wind Blows » vous prend aux tripes dans ses meilleurs moments.
L’émotion véhiculée par le film est renforcée par les voix de deux grands acteurs britanniques : John Mills et Peggy Ashcroft, qui pour leur première participation à un film d’animation, ont enregistré leurs voix en une prise (Ashcroft a avoué après au producteur qu’elle n’aurait pas eu les forces de faire une seconde prise vue la charge émotionnelle du film).
La réalisation a été confiée à l’américain de descendance japonaise Jimmy T. Murakami qui avait déjà officié sur « The Snowman » mais qui auparavant avait notamment travaillé avec Corman, participé à « Heavy Metal » (1981) et signé un long métrage de SF « Battle Beyond the Stars » (1980). Animateur talentueux, il avait également signé un court métrage d’animation « Breath » (1967) récompensé du grand prix du festival d’Annecy. En tant que fils de japonais installé aux Etats-Unis, il avait un intérêt particulier sur le sujet, sa famille faisant partie de celles qui se sont retrouvées en camp de concentration après le bombardement de Pearl Harbor… jusqu’à la défaite japonaise à coup de bombe nucléaire.
Sur le plan technique, « When The Wind Blows » innove en proposant également des passages non animés (notamment durant l’explosion de la bombe où des passages sont filmés avec des maquettes) et qui se fondent très bien avec les passages animés (un miracle en soi).
Ce film fort a marqué son époque, et c’est un bonheur de le retrouver dans une très belle édition BFI avec de nombreux bonus : des interviews d’époque, un documentaire sur Jimmy T. Murakami ou encore les 20 courts « Protect and Survive » (réunis dans un bonus de 50 minutes) produits par le Home Office en 1975 et prévus pour être diffusés en cas d’attaque nucléaire !
Combo blu-ray/DVD UK. Studio BFI (2018). Version originale avec des sous-titres en anglais optionnels. Bonus : livret (30 pages), « Potect and Survive » (50mn), An interview with Raymond Briggs (14 mn), « Jimmy Murakami : non alien » (77mn), Making of (25 mn), commentaire audio avec Joe Fordham.