Un film à la hauteur de sa légende, transcendé par ses décors naturels et l’alchimie entre ses deux stars, Humphrey Bogart et Katharine Hepburn

The African Queen (1951)

(La Reine africaine)

Réalisé par John Huston

Ecrit par James Agee et John Huston d’après le roman de C.S. Forester

Avec Humphrey Bogart, Katharine Hepburn, Robert Morley, Peter Bull,…

Direction de la photographie : Jack Cardiff / Direction artistique : Wilfred Shingleton / Montage : Ralph Kemplen / Musique : Allan Gray

Produit par Sam Spiegel et John Woolf pour Romulus Films et Horizon Pictures

Tourné en Afrique (Ouganda et Congo belge) et aux Studios Isleworth (UK)

Aventures / Romance

105mn

UK

1914. Rose (Katharine Hepburn) vit avec son frère le révérend Samuel Sayer (Robert Morley) dans un village africain. Mais un jour les Allemands débarquent, détruisent le village et enrôlent les villageois. Rose et Samuel restent seuls. Quand Charlie (Humphrey Bogart) qui fait des navettes sur le fleuve à bord de l’African Queen revient au village, il trouve Rose seule, Samuel est mort le matin même. Les deux décident de partir ensemble, mais Rose est hantée par l’obsession de venger la mort de son frère en faisant couler le Louisa, un navire de guerre allemand !

« The African Queen » est un projet fou. Au début des années 50, il est quasiment impossible en Amérique de sortir d’Hollywood et de tourner en décors naturels dans des zones aussi compliquées que l’Afrique, en plus en embarquant deux grandes stars américaines.

Et pourtant, contre toute raison, John Huston réussit à se passer d’Hollywood et de produire son projet extravagant hors du système. Pour cela il trouve l’homme de la situation, un producteur indépendant sans peur,  l’austro-Hongrois Sam Spiegel et sa société Horizon Pictures basée à Londres. Spiegel avait déjà produit à l’époque outre-atlantique « The Stanger » (1946) pour un certain Orson Welles déjà blacklisté à Hollywood ou « The Prowler » (1951) réalisé par Joseph Losey. Spiegel s’allie avec les frères anglais John et James Woolf qui la même année ont débuté dans la production via leur société Romulus Films avec « Pandora » (1951) réalisé par Albert Lewin. Les frères Woolf se lancent dans l’aventure malgré l’avis lapidaire du producteur Alexander Korda sur la non viabilité du projet.

Adapté d’un roman de l’anglais CS Lewis (dont on se souvient aujourd’hui pour « The Chronicles of Narnia »)  publié en 1933, « African Queen » est un film d’aventures et une romance entre deux personnages que tout semble opposé (une missionnaire anglaise et un vieil ivrogne canadien) mais qui vont réunir leurs forces pour un projet fou : remonter un fleuve réputé impossible à naviguer pour détruire un puissant navire allemand avec leur pauvre embarcation et des torpilles artisanales !

Le pari du film lui-même est aussi audacieux que le projet de ses héros ! Le tournage doit avoir lieu en Afrique, dans des conditions difficiles (Bogart plaisantera sur le bateau qui l’amène en Afrique en disant que vues les conditions météorologiques, ils allaient peut-être devoir délocaliser le tournage en… Ecosse). De plus si Katharine Hepburn et Humphrey Bogart sont des stars américaines indiscutables, elles sont aussi vieillissantes (Bogart a 51 ans et Katharine Hepburn 43 ans !) et ont alors des problèmes avec le maccarthysme. Bref, les deux stars sur lesquelles reposent le film sont elles encore « bankable » ?

Autant dire qu’alors que « The African Queen » entre en production, nombre sont ceux qui ont de gros doutes sur le fait que Huston arrivera même à finir son film. Et de fait le tournage sera un vrai cauchemar.  Il faut dire que Huston fait fort dès le début, en abandonnant, à peine sorti de l’avion, ses équipes au Kenya pour aller chasser l’éléphant au fin fond du Congo Belge et ensuite décider d’aller y tourner, loin de tout, dans les conditions qu’on imagine. Heureusement Huston a eu la bonne idée d’embarquer le directeur de la photographie Jack Cardiff, le maitre du Technicolor (qui avait notamment travaillé avec Powell et Pressburger et avait déjà eu droit à une nomination aux Oscars pour « Black Narcissus » en 1947).

Dans des conditions plus que difficiles, la magie opère pourtant grâce au talent et à l’ingéniosité des équipes impliquées et à la fabuleuse alchimie à l’écran entre Bogart et Hepburn. Ce n’était pourtant pas joué d’avance. Ils tournaient pour la première fois ensemble et le film repose entièrement sur leurs épaules (on ne voit quasiment qu’eux à l’écran). Bogart est impressionnant en vieux loup d’eau non salée et Hepburn en veille fille bigote qui trouve ici un amour improbable ! Bogart y gagnera même un Oscar et le film sera un triomphe inattendu.

« The African Queen » reste aujourd’hui un film techniquement impressionnant, mais surtout un mélange triomphant de film d’aventure et de romance. Huston continuera à travailler avec les Anglais de Romulus Films sur ces deux projets suivants : « Moulin Rouge » (1952) et « Beat the Devil » (1953) qui seront malheureusement des succès commerciaux moindres.

DVD et blu-ray FR. Studio ITV. Version originale sous-titrée en français et version française. Bonus : documentaire making of (60mn), interviews de Jean-Pierre Berthomé, historien du cinéma