Un témoignage fascinant d’une tentative de traitement objectif d’un conflit colonial alors en cours (la révolte Mau Mau au Kenya)

Simba (1955)

Réalisé par Brian Desmond Hurst

Ecrit par John Baines d’après le traitement d’Anthony Perry

Avec Dirk Bogarde, Virginia McKenna, Earl Cameron, Donald Sinden,…

Direction de la photographie : Geoffrey Unsworth / Montage : Michael Gordon / Diretion artistique : John Howell / Musique : Francis Chagrin

Produit par Peter De Sarigny pour Group Film Productions Limited

Tourné aux studios Pinewood et au Kenya

Guerre

UK

« En arrivant au Kenya, Alan (Dirk Bogarde) est accueilli par Mary (Virginia McKenna), une amie d’enfance dont il est amoureux. Mais, par la suite, il retrouve la ferme de son frère détruite et ce dernier assassiné par des membres du groupe rebelle Mau Mau. Alan décide alors de rester sur place mais doit faire face à de nombreux massacres perpétrés par le chef Simba… »

Dans la savane, un homme noir circule à vélo en chantant. Il s’arrête quand il entend quelqu’un crier à l’aide. Il se dirige alors vers les cris, s’arrête, regarde le sol puis autour de lui, et s’accroupit. Etendu sur le sol, un homme blanc blessé, son pyjama déchiré et ensanglanté. Le visage de celui-ci se déforme, il se met à hurler (la musique dramatique couvre le son). La caméra remonte vers l’homme noir qui sort une machette, la lève en l’air et l’abat d’un coup sec. L’homme noir range alors sa machette et repart en vélo. La caméra monte vers le ciel, puis gros plan sur un avion. Générique.

La première scène, cruelle, donne le ton du film, qui se veut brutalement réaliste. Un pari pour le moins osé car « Simba » est un film qui s’inspire de l’actualité brûlante et traite d’un conflit alors toujours en cours.

Sorti en début 1955 sur les écrans britanniques, « Simba » traite de la révolte Mau Mau au Kenya alors que le conflit a commencé à peine deux ans plus tôt et qu’il ne finira que l’année suivante par l’écrasement de la rébellion par les autorités britanniques.

Après le succès de « The Planter’s Wife » (1952) qui traitait de l’insurrection communiste malaise démarrée en 1948, la Rank décide de s’intéresser à nouveau à l’actualité alors tumultueuse des colonies britanniques.

Il est vrai que les Britanniques ont pris l’habitude avec la seconde guerre mondiale de traiter l’actualité à chaud. Les films de propagande réalisés pendant la seconde guerre mondiale sont encore aujourd’hui considérés comme des modèles du genre. Mais est-ce que ce traitement nationaliste a un sens quelques années plus tard alors que les conflits annonciateurs de la décolonisation pointent leur nez ? On est dans un contexte bien différent.

Le scénario du film se base sur un traitement d’Anthony Perry, envoyé par le studio sur place pour étudier la situation et revenir avec une idée de scénario qui puisse avoir l’aval des autorités britanniques et locales. Le résultat final montre en effet une conscience assez pointue de la réalité au Kenya – et fait référence à des événements bien réels (dont le massacre de Lari dans la nuit du 25-26 mars 1953 où les rebelles Mau Mau ont massacré les familles fidèles au gouvernement britannique). Par contre, pas un mot à propos des contre-offensives meurtrières orchestrées par le pouvoir colonial qui ont suivies.

Le film montre bien l’opposition entre les colons progressistes et ceux qui considèrent que les noirs ne sont que des enfants qui devraient être reconnaissants de tout ce que leur a apporté le gentil colonisateur. Pour ce qui est des noirs, ceux-ci semblent en majorité participer au mouvement par peur et sous la menace du chef Mau Mau. Ces derniers sont montrés comme de sanguinaires terroristes qui s’en prennent à tous ceux qui se mettent en travers de leur chemin – quelque soit la couleur de leur peau.

Les deux personnages médians sont celui de Mary (Virginia McKenna), fille de colons née et ayant toujours vécue au Kenya, qui réprouve le racisme paternaliste des colons (dont ses propres parents) et travaille comme assisstante pour le docteur noir Karanja (incarné par Earl Cameron, un acteur né aux Bermudes dont on a noirci la peau pour qu’il fasse plus « kenyan »). Karanja aime son pays mais ne veut pas de la guerre contre les britanniques. Il a été lui même formé en Angleterre, et représente donc ici le « noir civilisé » mais qui se retrouve en fait isolé, auprès de sa communauté mais aussi des colons qui le voient tous comme un étranger. Pour sa part, Alan (Dirk Bogarde) est un nouvel arrivant qui, du fait du meurtre sauvage de son frère par les révoltés Mau Mau, a tendance à être sensible aux arguments des colons les plus conservateurs… mais qui s’ouvre aux idées plus progressistes grâce à son amour pour Mary.

« Simba » n’est absolument pas critique envers la colonisation et ce n’est guère une surprise. De même, il n’y a aucune critique du comportement de l’armée britannique pendant la révolte Mau Mau. Depuis, les nombreux actes de torture commis ont été dénoncés et la répression du soulèvement est aujourd’hui considéré comme l’un des épisodes les plus sombres du colonialisme. En 2013, le gouvernement britannique a enfin annoncé une compensation financière de 2.600 livres pour chacun des 5.000 survivants des camps de détention britannique (source).

Evidemment, vu le contexte de guerre, le film a été tourné principalement en studio, à Pinewood, avec une seconde équipe dépêchée au Kenya, mais sans grande surprise les raccords font parfois assez artificiels.

L’éditeur Elephant Films parle d’une « prestigieuse édition remasterisée ». Toutefois le film aurait bien besoin d’une bonne restauration pour retrouver toute sa splendeur (l’image et le son restent corrects néanmoins).


DVD zone 2 FR. Studio Elephant Films (2015). Version originale sous-titrée en français. Bonus : présentation du film par Jean-Pierre Dionnet (15′)