« Rome Express » est un excellent thriller dans le style de “The Lady Vanishes” d’Hitchcock mais sorti six ans plus tôt !
Rome Express (1932)
Réalisé par Walter Forde
Ecrit par Clifford Grey et Sidney Gilliat
Avec Conrad Veidt, Esther Ralston, Hugh Williams, Donald Calthrop, Joan Barry, Frank Vosper, Cedric Hardwicke, Finlay Currie,…
Direction de la photographie : Günther Krampf / Direction artistique : Andrew Mazzei / Montage : Fredrick Y. Smith / Musique : Leighton Lucas
Produit par Michael Balcon pour Gaumont British
Thriller / Crime
UK
Dans la gare de Lyon, l’animation est à son comble sur le quai alors que le train pour Rome s’apprête à partir. A bord, un ensemble de personnages très divers : une star de cinéma qui rêve de retrouver une vie normale Asta Marvelle (Esther Ralston) et vit de plus en plus de mal la pression constante de son publiciste (Finlay Currie), un millionaire radin qui s’est construit une fausse image de philantrope Alistair McBane (Cedric Hardwicke) accompagné de son majordomme souffre douleur Mills (Eliot Makeham), le chef de la police française, entomologiste à ses heures perdues Mr Jolif (Frank Vosper), un couple d’amants mariés chacun de leur côté (Joan Barry et Eliot Makeham)… Mais surtout un voleur en fuite qui se fait appeler Poole (Donald Calthrop) et est poursuivi par ses deux partenaires en crime Zurta (Conrad Veidt) et Tony (Hugh Williams). Rajoutez à cela un golfeur qui se croit drôle Bishop (Gordon Harker), remuez le tout, et vous obtiendrez un excellent thriller criminel avec un soupçon de comédie.
« Rome Express » fait bien sûr penser à « The Lady Vanishes » (1938) d’Alfred Hitchcock et à « Night Train to Munich » (1940) de Carol Reed. Les trois films sont des thrillers dont l’action se déroule dans un train, utilisent un casting riche et diversifié, une réalisation solide et un scénario efficace teinté d’humour. Ce n’est pas un hasard si ces trois films sont cosignés par Sidney Gilliat (les deux derniers en duo avec son partenaire d’écriture habituel Frank Launder).
Bien moins connu que les deux films qui vont suivre, « Rome Express » n’est pourtant pas moins bon (sauf pour sa fin un peu bâclée – nous y reviendrons). La réalisation de Walter Forde, fait preuve d’une belle inventivité pour donner de la vie à un film tourné intégralement dans les studios tout neufs de Lime Grove à Sheperd’s Bush. La première scène qui est censée se dérouler dans la gare de Lyon à Paris est un joli tour de force. La vie grouille, et on nous introduit rapidement les personnages alors qu’ils montrent dans le train. Les transitions entre les plans sont souvent l’occasion de clins d’oeil réussis qui appuient la comédie. Ancien acteur comique passé à la réalisation, Forde creuse les touches comiques déjà présentes dans le scénario et fait preuve d’un excellent timing sans pour autant compromettre ou noyer le suspense de ce qui reste avant tout un thriller.
« Rome Express » est une grosse production d’une ambition assez inhabituelle pour le cinéma britannique de l’époque. La Gaumont British, dont le responsable de la production est à l’époque Michael Balcon (le futur patron des studios Ealing) met le paquet pour sortir un fim qui rivalise sans complexe avec les productions américaines et allemandes de l’époque.
On estime généralement que le premier grand succès du cinéma britannique à l’international est « The Private Life of Henry VIII » (1933) d’Alexander Korda. Mais un an plus tôt, « Rome Express » avait su attirer l’attention avec de véritables qualités cinématographiques qui n’ont rien à envier aux premiers Hitchock. La direction de la photographie est assurée par le Viennois Günther Krampf qui avait travaillé notamment sur les classiques « Orlacs Hände » (1924) de Robert Wienne et « Loulou » (1929) de G.W. Pabst. La direction artistique d’Andrew Mazzei est également à saluer.
Le casting est tout simplement excellent à commencer bien sûr par la star allemande Conrad Veidt qui vient tout juste de débarquer en Grande-Bretagne, fuyant la montée du nazisme. On le retrouve ici avec tout son charisme inquiétant qui avait transcendé l’écran dans les films de Wienne « Das Cabinet des Dr. Caligari » (1920) et « Orlacs Hände » (1924). La star américaine Esther Ralston fait oublier également sans problème qu’elle a commencé sa carrière à l’époque du muet, jouant ici avec un joli naturel. Sans oublier les Anglais Donald Calthrop (vu chez Hitchcock dans « Murder » et « Blackmail ») dans le rôle du voleur de tableau, le comique Gordon Harker qui trouve ici l’un de ses meilleurs rôles dans la peau d’un golfeur bavard et fouineur, Cedric Hardwicke dans le rôle du millionnaire détestable ou encore Frank Vosper, alors âgé d’une petite trentaine d’années mais qui joue un inspecteur français excentrique mais tenace avec une dizaine d’années de plus au compteur.
Le seul défaut du film est sa fin. En effet l’histoire est conclue un peu rapidement, et les conclusions choisies pour chaque personnage laissent un petit goût d’inachevé et de bâclé dans la bouche. Ça ne suffit pas toutefois à retirer les immenses qualités d’un film qu’on peut aujourd’hui redécouvrir dans de très bonnes conditions grâce à une restauration avec le soutien du BFI et une édition en Blu-Ray chez l’éditeur anglais Network (avec des sous-titres optionnels en anglais).
A noter pour la petite histoire que le film a fait l’objet d’un remake en 1948 intitulé « Sleeping Car to Trieste » mais qui n’a pas très bonne réputation.
DVD et Blu-Ray UK. Studio Network, collection « The British Film » (2015). Version originale avec des sous-tires optionnels en anglais. Bonus : Livret 24 pages