Quand Peter Brook est décédé le 2 juillet 2022, les journaux ont rendu hommage à un géant du théâtre contemporain. Peu se sont attardés sur sa carrière sur les écrans (petit et grand). Pourtant, l’impact de Brook en la matière ne peut être ignoré, ne serait-ce que pour son adaptation magistrale du roman de « Lord of the Flies » (Sa Majesté des Mouches) en 1963.

Fils d’immigrés juifs lituaniens, Peter Brook est né à Londres en mars 1925. C’est durant ses études à Oxford que son appétence pour le théâtre est remarquée. Précoce, il a été nommé directeur du Birmingham Repertory Theatre à 20 ans et enchaine rapidement avec la Shakespeare Memorial Theatre et la  Royal Opera House. Il développe alors une réputation d’enfant terrible qui aime bousculer les traditions, influencé par le théâtre de la cruauté d’Artaud et la mère du théâtre moderne britannique, Joan Littlewood. Il continuera toute sa vie ses expériences théâtrales, principalement mais pas exclusivement entre Londres et Paris où il s’est installé au début des années 70.

Brook fait ses débuts au cinéma très tôt, à 28 ans en 1953 avec une adaptation en technicolor de l’opéra de John Gray et Arthur Bliss « The Beggar’s Opera » avec en tête d’affiche Laurence Olivier. Une grosse production qui aurait pu lancer sa carrière en tant que cinéaste, mais le film est un flop total.

Dans les années 50, plusieurs de ses pièces et mises en scène sont diffusées à la télévision britannique. Brook aura l’occasion de revenir sur grand écran en 1960 grâce à l’appui du producteur Raoul Levy en signant une adaptation de Duras « Moderato Cantabile » avec Jeanne Moreau et Jean-Paul Belmondo. Pas d’échec cuisant cette fois-ci mais un succès largement limité au territoire français.

Pas découragé, Peter Brook porte ensuite son choix sur « Lord of the Flies« , le premier roman de William Golding paru en 1954. Pourtant pas le plus projet le plus facile avec trois difficultés majeures en vue dans le cadre d’une adaptation cinématographique. Premièrement, son casting est composé exclusivement d’enfant.  Deuxièmement, les thèmes abordés sont très adultes (d’ailleurs le film sera classé X à sa sortie en Grande Bretagne). Enfin, l’action est censée se dérouler sur une île du Pacifique.

Pourtant Brook persiste malgré les difficultés qui émaillent la pré-production puis le tournage. Soixante heures de rush sont tournées et largement improvisées par les enfants. Tourné en 1959, le film sort finalement deux ans plus tard. Un pari herculéen mais bien lui en a fait. Le film est présenté en compétition officielle à Cannes et est considéré aujourd’hui comme un classique.

Six ans plus tard, Brook revient sur grand écran avec une adaptation cinématographique de l’un de ses grands succès au théâtre « Marat/Sade » qui avait été joué à Londres et à Broadway (Il reçoit le Tony Adwards du meilleur metteur en scène en 1966). En tête d’affiche Patrick Magee dans le rôle de Sade, Ian Richardson dans celui de Marat ou encore Glenda Jackson dans celui de Charlotte Corday.

L’année suivante, Brook sort le docudrama « Tell Me Lies » à propos de la perception de la guerre du Vietnam en Angleterre. Deux heures un peu arides et controversées qui lui vaudront d’être refusé à Cannes mais récompensé à Venise.

En 1970, il réalise « King Lear« , une adaptation pour certains un peu trop personnelle et libre de la pièce de Shakespeare avec Paul Scofield dans le rôle titre. Neuf ans plus tard il signe « Meetings with Remarkable Men » (1979) qui suit la quête spirituelle du mystique G.I. Gurdjieff et tourné entre l’Afghanistan, l’Egypte et le studio de pinewood.

Deux de ses pièces sont captées par la télévision française, « Mesure pour mesure » (1979) et « La ceriseraie » (1982). Il reviendra pour la dernière fois sur grand écran en 1983 avec « La tragédie de Carmen » où trois groupes d’acteurs se partagent l’interprétation dans trois versions différentes.

Au théâtre comme au cinéma, Brook aura expérimenté. Même si on peut voir l’essentiel de sa production filmée comme une prolongation de son travail théâtral, ce qui a l’habitude de déplaire aux critiques de cinéma; « Lord of the Flies » reste un triomphe cinématographique à part entière, indépendamment de tout le reste.