Un film de gangster cruel mais aussi une comédie au rythme enlevé et amené au firmament par une mise en scène brillante et des personnages hauts en couleur. Déstabilisant, atypique mais souvent juste génial !
Noose (1948)
Réalisé par Edmond T. Gréville
Ecrit par Richard Llewellyn d’après sa pièce
Avec Carole Landis, Joseph Calleia, Derek Farr, Stanley Holloway, Nigel Patrick, Ruth Nixon, Hay Petrie,…
Direction de la photographie : Hone Glendinning (et Otto Heller – non crédité)
Produit par Edward Dryhurst pour Edward Dryhurst Productions et Associated British Picture Corporation (ABPC)
Tourné aux studios First National
Tour
Crime / film noir / comédie
76mn
UK
Dans le Londres de l’après-guerre, le gangster Sugiani (Joseph Calleia) règne sur le marché noir. Il règle son compte à tous les curieux – et les curieuses – qui voudraient enquêter sur son trafic. C’est alors que la belle journaliste américaine, Linda Medbury (Carole Landis), vient fourrer son nez dans ses affaires, dont des noyades étranges dans la Tamise.
« Noose » s’ouvre sur une vue des toits londoniens puis sur un panneau clamant « Nous sommes dans le pétrin. Sans travail, c’est la misère ». Une flaque d’eau, un prêtre sortant d’une église puis gros plan sur le nom de la paroisse « Soho ». Là changement d’univers. Mr Gorman, un homme élégant, la moustache bien taillée, va à son travail de fort bonne humeur. il a un petit mot et un geste pour chaque connaissance qu’il croise. Il rentre enfin dans son bureau devant lequel on fait la queue. Il répond de façon expédiée au premier coup de fil (« Allo, hein, quoi, c’est moi, non »), range la bouteille d’alcool, sort le cadre de sa petite famille (« Madame Gorman, ton mari est un génie ») et fait rentrer sans plus de formalités le premier visiteur de la journée. Un vieux clochard vide son sac sur son bureau malgré ses protestations, et lui sort une liasse de faux billets et de cartes de rationnement. Il les regarde d’un air approbateur et commence à négocier.
Mais des rumeurs autour de la disparition d’une certaine « Mille Sharp » vont bientôt gâcher la journée de Gorman… Et Gorman va devoir monter à l’étage pour aller voir son boss Suriani, un gangster italien fort en gueule répondant au surnom de Knoxi en référence au poing américain en argent qu’il porte à la main droite (on apprendra par la suite qu’il a parait-il les jointures fragiles, embêtant quand il faut tabasser les récalcitrants du buble !).
Qui s’est débarrassé de Millie Sharp, se demande Knoxi, soudainement de fort méchante humeur ? Serait-ce justement ce vieux barbier qui se tient à ses côtés et qui aime étrangler ses proies ? Qu’importe après tout, le problème c’est qu’on ait retrouvé le corps ! Ah le bon personnel n’est plus ce qu’il était !
Cette scène d’entrée est presque digne d’un vaudeville avec sa mise en scène très enlevée et ses dialogues qui font mouches. Gorman et Sugiani sont de formidables personnages comiques que tout semble opposé (l’un des distingué et intelligent, l’autre est vulgaire et primaire) et on les prendraient presqu’en sympathie… si le contexte n’était si morbide (d’ailleurs Gréville fait une transition osée entre la main du gangster avec sa grosse bague et son poing américain et celle nue du cadavre de la jeune femme à la morgue !).
Linda, une jeune américaine qui s’occupe de la rubrique mode dans un quotidien, va tomber sur la petite amie de Sugiani qui ne se remet pas de la mort de son amie. Linda qui est aussi élégante qu’elle a une volonté de fer, décide de s’attaquer au gangster (qui cumule impunément les crimes) en rédigeant un article sur le sujet. Evidemment son rédac’ chef n’est pas des plus heureux de l’évolution de carrière !
La suite continue à mélanger des éléments de comédie (le final va quasiment vers le slapstick – je sais c’est déroutant mais j’adore !) avec une histoire très noire où plusieurs jeunes femmes sont maltraitées et tuées sauvagement et une romance un brin fleure bleue.
Ah, les femmes ! Le film propose plusieurs modèles de figures féminines : l’innocente (Maffy, la jeune femme qui travaille dans la salle de boxe), l’alcoolique et mélodramatique (Annie), la femme indépendante et forte (Linda), la femme enfant et femme fatale (Mercia, l’actrice et nouvelle amie de Sugiani).
Et quels acteurs ! Sugiani est interprété par l’extraordinaire Joseph Calleia et Gorman son bras droit par le fabuleux Nigel Patrick. Linda est quant à elle interprétée avec beaucoup de talent et d’énergie par l’actrice américaine Carole Landis. C’est malheureusement son avant dernier film. Elle s’est suicidée l’année suivante à l’âge de 29 ans.
Notons aussi l’importance des objets qui sont rattachés à un personnage (Sugiani et son poing américain et ses téléphones (qui finissent invariablement en pièce détachée), Linda et ses chaussures (qu’elle oublie toujours), Gorman et la photo de sa femme ainsi que la plaque avec son nom sur son bureau). Objets qui sont souvent rappelés dans les transitions de scène et jouent un rôle majeur dans l’intrigue.
Mais évidemment un tel film, si atypique, si déstabilisant mais si génial, constamment sur le fil du rasoir, repose forcément sur les épaules d’un réalisateur talentueux. Quel fabuleux travail d’orfèvre de la part d’Edmond T. Gréville, quelle attention aux détails ! Gréville est un réalisateur français (il est né à Nice de parents français et anglais). Critique, acteur, il a été assistant réalisateur d’E.A. Dupont, Abel Gance et René Clair et effectuera une partie de sa carrière en Angleterre. Il a réalisé une quarantaine de films, de qualité inégale mais certains (comme celui-ci) mériteraient de retrouver la place qui leur est due dans l’histoire du cinéma.
« Noose » est édité en France par Doriane Films dans une version de qualité acceptable – mais pour un tel film une restauration s’impose ! A noter que l’éditeur a eu l’excellente idée de demander à l’universitaire Philippe Roger d’écrire un petit livret fort réussi sur le film (l’analyse est passionnante !).
DVD zone 2. Edition Doriane Films. Version originale sous-titrée en français. Livret de Philippe Roger