Le dimanche 11 novembre 2011, Mike Leigh était l’invité d’une Master class animée par le journaliste Pascal Mérigeau.
Voici de courts extraits, assez fidèles je l’espère, de cette passionnante intervention où Mike Leigh parle de l’essence même de son travail cinématographique :
« Ce serait un peu facile de rapprocher mon travail de celui du travail théâtral. Mais plus fondamentalement j’ai découvert cette façon organique de faire du cinéma du fait de ma perception de la vie depuis mon plus jeune âge. J’ai grandi dans un monde cru et un peu agressif. J’ai eu envie de capturer une certaine réalité. Mais en même temps j’ai toujours eu un sens de la comédie de la vie. Pour échapper à ma morne vie provinciale, je suis allé à Londres. Là, j’ai intégré une école très académique. J’ai commencé mon voyage en réaction à ces conventions. Au même moment, j’ai découvert le cinéma mondial. Les années 60 ont vu le triomphe de l’improvisation dans la culture. »
« Une fois à la London Film School, il est devenu rapidement clair pour moi que mes aspirations d’écriture et ma fascination pour le jeu (c’est à dire du travail avec les acteurs) pourraient se marier via la combinaison des répétitions et de l’écriture. Cet aspect collaboratif était révolutionnaire dans le contexte théâtral de l’époque mais ça s’inscrit profondément dans l’histoire théâtrale. Pareil pour les racines du cinéma. Au temps du muet, l’improvisation était reine. Pour moi la qualité de l’écriture, de la structure, de la narration, du langage, du design, de la photo tournent autour de la qualité de l’interprétation. Je voulais capturer le monde réel et le retranscrire sur l’écran. Voir comment l’histoire peut évoluer par l’interprétation des acteurs. »
« Les acteurs sont de vrais artistes qui collaborent au film. Pour moi le voyage du film est celui de la découverte de la nature même de ce film. Chacun d’entre nous est le centre de notre propre univers. Quand je vais voir un acteur, je ne lui dis pas de quoi le film parle, il ne doit connaitre que ce que son caractère vit. Chaque acteur construit son personnage comme s’il était le centre du film, et après on construit les relations qui le lient aux autres personnages. Les acteurs ont ainsi une certaine liberté et aussi un sentiment de propriété sur leur personnage. Pour moi l’acteur doit prendre l’identité du personnage, doit être très intelligent, avoir le sens de l’humour, ne pas être égocentrique et doit être ouvert sur le monde. L’invention du personnage définit les bases du film. Un développement qui dure des mois avant qu’on commence le tournage. Même s’il faut rester inventif pendant le tournage, ce qui se passe devant l’écran est défini avec beaucoup de précision pendant les répétitions. Au montage, les scènes sont déjà là, il n’y a pas beaucoup de déchets. »
« Quand un acteur commence à travailler sur l’un de mes films, on ne sait pas si ça va être un petit ou un grand rôle, ça dépend de l’acteur et du développement du personnage. »
« Pour « Vera Drake », deux ou trois mois avant le tournage, nous avons organisé une longue improvisation de 10 ou 11 heures d’affilée avec la fête de fiançailles dans un hôpital abandonné. Les acteurs qui participaient à cette scène ne savaient pas que des acteurs jouant des policier allaient intervenir, ni que Vera Drake pratiquait des avortements. Quand les policiers sont arrivés, c’était très traumatisant mais très réel. Mon job est alors d’écouter ce qui se passe. Quand quelques mois plus tard, on a filmé la scène, les acteurs avaient l’expérience de ce genre de situations et des sentiments qu’elles engendrent. »
« Ma seule frustration en tant que réalisateur, c’est de ne pas pouvoir travailler sur de plus gros projets. Du fait de ma façon de travailler, mon budget ne peut dépasser un certain montant et je ne peux pas travailler avec Johnny Depp. Car je n’ai pas de script. Actuellement je prépare un film sur le peintre Turner, mais c’est dur car j’ai justement besoin d’un budget plus important. Je dois adapter le film au budget, faire un film avec les ressources disponibles… »
« Mon conseil à un apprenti réalisateur? Ne jamais faire de compromis. »