Un beau portrait d’une jeune femme, incarnée par la mythique Carol White, proie d’un entourage qui s’octroie le droit de décider de ses besoins et désirs à sa place. Une réflexion amère sur la solitude et sur les relations hommes-femmes.
Made (1972)
Réalisé par John Mackenzie
Ecrit par Howard Barker d’après sa pièce
Avec Carol White, Roy Harper, John Castle, Margery Mason,…
Directeur de la photographie : Ernest Day / Direction artistique : Philip Harrison / Montage : David Campling / Musique : Roy Harper
Produit par Joseph Janni pour Anglo-Emi
Drame
UK
Valerie (Carol White) vit seule dans un HLM avec sa mère malade et son fils encore nourrisson. Elle a un petit boulot de standardiste et ses relations avec la gent masculine sont difficiles.
« Made » s’ouvre sur un générique stylisé en noir et blanc. Pendant que les crédits défilent, une jeune femme joue sur un manège avec un homme. Une chanson folk couvre les cris du couple. Des silhouettes apparaissent et disparaissent dans l’obscurité : un pasteur dit la messe, une jeune femme se maquille, une vieille femme joue aux cartes seule, un chanteur enregistre un morceau…
Puis on passe en couleur, un parking désert, la nuit, une vieille camionnette. Le couple se dispute. Lui veut qu’ils fassent l’amour, elle le trouve brusque. L’homme finit par laisser la jeune femme sur le parking en la traitant de « frigide », d’anormale. La jeune femme, seule et visiblement choquée, commence à rentrer chez elle à pied. Mais un groupe d’adolescents l’effraient et la prennent en chasse. Elle tombe sur un policier qui lui dit qu’elle ne devrait pas traîner ici et décide de la raccompagner chez elle.
La jeune femme Valérie (Carol White) rentre chez elle où elle retrouve sa mère endormie devant un concert de folk à la télé et son fils, un nourrisson, qui pleure. Le lendemain matin, elle retrouve son amie June (Doremy Vernon) avec qui elle travaille comme standardiste.
« Made » est le portrait d’une jeune femme des classes populaires qui n’est pas vraiment des plus chanceuses. Mais si le père est parti, elle est heureuse d’avoir son fils. Elle aimerait bien aussi trouver un nouvel homme. Et pourquoi pas après tout ? c’est une jolie fille. Mais Valerie n’a pas vraiment de chance avec les hommes. Tous ceux qui s’intéressent à elle veulent surtout qu’elle accepte leur vision du monde et des relations. Que ce soit un immigré indien (Sam Dastor), poète à ses heures et surtout lourdingue de première, un pasteur (John Castle) moralisateur ou un chanteur folk (Roy Harper) pour l’amour libre et sans responsabilités. Tout oppose ces autres sauf une : leur façon de traiter Valerie comme seul réceptacle de leurs désirs. Ils définissent ses besoins en fonction des leurs.
Côté entourage féminin, Valérie n’est guère mieux lotie. Sa meilleure amie ne se définit qu’en fonction des hommes qui l’entourent même si elle estime qu’ils sont tous des salauds. Et sa mère malade, fait culpabiliser Valerie et lui reproche sans arrêt de ne pas l’écouter et de ne pas s’occuper assez d’elle.
On comprend rapidement que la vie de Valerie ne va pas être facile. Et les choses ne vont qu’aller en s’empirant sous l’effet cumulatif de toutes ces personnes autour d’elle qui ne peuvent s’empêcher de la juger et de la définir contre son gré. Deux drames successifs finiront-elles par la briser ?
Le film écrit par le dramaturge Howard Barker et réalisé par l’Ecossais John Mackenzie (réalisateur du mythique « The Long Good Friday« ) a été longtemps oublié un peu trop rapidement condamné pour un manque de subtilité et une construction dramatique un peu artificielle. Sans parler du folk seventies de Roy Harper qu’on appréciera selon ses goûts.
Néanmoins « Made » n’est pas dénué de qualités. Ce film, qui s »inscrit dans la mouvance de la nouvelle vague britannique (le film est d’ailleurs produit par le grand producteur du « mouvement » Joseph Janni), et se veut réaliste socialement, est un beau portrait tragique de femme et propose une réflexion amère sur la solitude et sur les relations hommes-femmes. Les personnages masculins sont volontairement caricaturaux mais représentent chacun différentes formes de paternalisme bien réelles. Carol White, qui a été à bonne école avec Loach (Cathy Come Home, Poor Cow,…) sait interpréter avec réalisme et sensibilité une femme blessée. C’est un des derniers rôles de cette actrice mythique qui a dû lutter contre ses propres démons et qui a incarné certains des portraits de femme les plus forts du cinéma britannique. Enfin, la réalisation de Mackenzie a de vrais moments de grace.
L’éditeur britannique Network a eu l’excellente idée de ressortir « Made » en blu-ray et DVD avec des sous-titres anglais. C’est le moment de le re-découvrir.
DVD ou Blu-ray UK. Studio Network (2016). Version anglaise sous-titrée en anglais. Livret de 28 pages.