Quand vous êtes un « vieux » cinéphile comme moi, et que vous êtes passionnés entre autres par les cinémas britannique et fantastique, il est difficile de passer à côté de « The Wicker Man » (1973). Et de fait, c’est l’un des premiers films que j’ai chroniqué ici, en 2011. Film culte par excellence, qui mélange audacieusement les genres, et est l’un des représentants mythiques du « folk horror » (alors même que son classement en film d’horreur ou même fantastique est discutable).

J’ai deux copies DVD (l’une française et l’autre anglaise) qui font honneur à ma collection, mais j’ai été pour le moins agréablement surpris quand j’ai appris qu’au-delà de sortir en combo DVD/blu-ray dans la collection « Make My Day » de JB Thoret chez StudioCanal, « The Wicker Man » allait sortir dans les salles françaises en version restaurée et « complète » !

J’ai finalement vu le film pour la première fois sur grand écran au fameux Grand Action à Paris fin mai 2021 pour une séance spéciale organisée par le distributeur Marc Olry, un homme orchestre à la passion contagieuse. Concert folk et excentrique de The Fantasy Orchestra, distribution de goodies et de cidre, exposition d’objets inspirés du film (dont une reproduction du fameux dieu d’osier) créés par une artiste nantaise Alexandra Catherine,… Olry, via sa société de distribution Lost Films (membre du syndicat des distributeurs indépendants) prend un sacré pari en proposant ce film si spécial, un objet filmique non identifié longtemps moqué avant d’être vénéré. Et il y met les moyens !

Dans un contexte qui a été difficile pour le cinéma, c’est un bonheur de retrouver les salles obscures dans de telles conditions. Et Marc Olry mérite bien un coup de chapeau et de projecteur. Merci à lui d’avoir donc répondu à ces quelques questions.

Comment avez-vous découvert « The Wicker Man » et pourquoi décider de le ressortir dans les salles aujourd’hui ?
 
 
C’est en sortant d’une séance de Midsommar à l’été 2019 que j’ai eu envie de voir et découvrir enfin ce film culte dont j’entendais parler depuis des années. Ari Aster le citait très souvent dans ses interviews comme une référence capitale pour son Midsommar.
 
Ne sortant avec Lost Films qu’un titre par an, j’essaie de proposer soit un film perdu ou au moins assez rare sur les écrans de cinéma. Dans le cas de the Wicker Man, en plus d’être maudit avant de devenir culte et en plus d’être perdu il était carrément invisible. Il était absent des salles, des plates-formes VOD et surtout l’édition DVD française de 2003 (collection cinéma de Quartier StudioCanal) était datée quand on pense qu’une restauration supervisée par son réalisateur (Robin Hardy) avait été faite pour les 40 ans du film en 2013.
 
 
« The Wicker Man » était ressorti juste avant la deuxième fermeture des salles. Alors que c’est à présent l’embouteillage des nouveautés, comment fait-on pour réussir à retrouver de la place pour un film de patrimoine ?
 
En fait le film n’était jamais sorti à l’automne.  Il avait juste eu quelques rares avant-premières à Toulouse et à Nantes en octobre et avait été montré au festival Lumière 2020 à Lyon et à Paris au Grand action trois jours avant la nouvelle re-fermeture des salles. Plusieurs avant premieres devaient avoir lieu pour Halloween. La date de sortie était fixée initialement au 4 novembre, puis en décembre si on nous avait laissé réouvrir.
 
 
Même en temps normal, trouver de l’espace pour nos reprises, pour nos films de patrimoine est devenu de plus en plus compliqué  ces dernières années, dans un marché où les films nouveaux,  qu’ils soient des blockbusters ou même d’art et essai, exigent de plus en plus de séances et d’exposition auprès de toutes les salles de cinéma de France.
 
 
La vraie différence entre le moment de réouverture de juin 2020 et celui de mai 2021 c’est que cette année il y a énormément de films qui doivent sortir et notamment de qualité, donc pléthore d’options pour les exploitants qui doivent sélectionner quelques titres pour leurs écrans. Et parfois au détriment d’un film classique… d’autant plus si comme pour « The Wicker Man » il s’agit d’un classique méconnu et inclassable !
 
 
Êtes-vous surpris par l’accueil de « The Wicker Man » ?
 
 
Oui car si je me mets à repenser au moment où j’ai découvert le film, il y a deux ans. Je me suis longtemps et souvent posé la question de savoir à quel point ce n’était pas une folie de le montrer, tellement le film est inclassable, tellement c’est un ovni cinématographique qui jusque là bénéficiait surtout d’une aura culte chez les connaisseurs du cinéma de genre ou du fantastique plus particulièrement. Mais depuis toujours il y a une véritable méprise sur son identité fantastique, le film est au fond, et avant tout une enquête policière avec un personnage qui met les pieds dans une communauté très bizarre.
 
 
Le fantastique réside surtout dans le bizarre et le décalage entre deux mondes qui s’opposent.
 
Christophe Lee ne se transforme pas en chauve-souris mais comme ce film s’est fait connaitre en remportant le grand prix au Festival fantastique de Paris en 1974, il ne peut se détacher de cette image de film fantastique. Image qui a été ensuite entretenue par d’autres festivals, dans d’autres séances spéciales et surtout par les deux phares de la presse française que sont l’Ecran fantastique et Mad Movies (ce dernier étant partenaire de ma réédition 2020-2021).
 
 
The Wicker est autant fantastique que « Duel » de Steven Spielberg qui avait remporté à l’époque le Grand Prix du Festival d’Avoriaz.
 
Depuis quelques jours je me rends compte que le public est très large et bigarré. Jeune ou plus âgé, de spécialistes ou de curieux.
 
 
Vous êtes distributeur indépendant, expliquez-nous votre travail ? Quand il s’agit de défendre les films que vous sortez, vous donner l’impression de littéralement vivre avec ! 
 
 
Le mot est  juste ! Quand on est distributeur, on vit avec son film. Pour moi le distributeur c’est le plus grand fan du film ! c’est celui qui est assez fou pour croire qu’il n’est pas le seul à aimer un film et au point de vouloir que tout le monde l’aime autant que lui….
 
Être distributeur c’est en effet à la fois, mettre de l’argent pour acquérir les droits d’un film, en faire sa promotion et le mettre en lumière du mieux possible mais c’est aussi pendant des mois de préparation avant la sortie savoir transmettre sa passion pour le faire découvrir et accepter aux autres : les institutions, les salles de cinéma, la presse et pour finir le public.
 
 
Nous, en étant distributeurs de patrimoine, nous sommes condamnés à essayer de faire l’événement, tout en ne disposant que de peu de séances de patrimoine pour faire en sorte qu’elles rayonnent et rencontrent le succès.
 
 
Pour ma part depuis mes premiers titres, dès « La Rumeur » de William Wyler ou « Du silence et des ombres » de Robert Mulligan que j’avais sortis sur deux ou trois copies en 35 mm, il m’a toujours semblé important de pouvoir échanger, discuter et rencontrer les spectateurs, pour apporter un éclairage et surtout dialoguer, créer du lien. Tout ça a beaucoup manqué ces derniers mois.
 
Depuis une semaine maintenant, je me rends compte que beaucoup de gens se l’approprient et que « The Wicker Man »  résonne en chacun tellement il peut aussi presque 50 ans plus tard être d’actualité. Un spectateur à Ivry au Luxy récemment a vu dans la scène du bucher qui s’effondre la flèche de Notre-Dame !
 
 
Au-delà de « The Wicker Man », vous avez ressorti plusieurs autres classiques un peu oubliés dont « Ryan’s Daughter » (1970), l’avant-dernier film de David Lean dont l’échec a mis en pause sa carrière pendant 15 ans. Qu’est-ce qui vous a poussé à défendre ce film ?
 
 
J’ai une attache très personnel à ce film, j’ai l’habitude de dire que souvent les films viennent à moi par hasard mais en fait c’est toujours très passionnel et personnel.
 
 
Pendant longtemps j’ai eu envie de faire découvrir le quatrième film de John Schlesinger « Loin de la foule déchainée » (« Far from the Madding Crowd » 1967), son dernier film européen avant qu’il ne fasse « Macadam cowboy » (« Midnight Cowboy », 1969) outre-atlantique. Schlesinger avait adapté ce roman de Thomas Hardy, avec Julie Christie et trois très grands acteurs anglais qui pendant plus de 2h30 essayent de la séduire. J’ai commencé à en parler à certains amis exploitant à qui j’aime confier mes pistes de réédition, sans en convaincre beaucoup et c’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que cette histoire épique, très romantique et très britannique me renvoyait à un autre film fétiche de ma cinéphilie.
 
 
Et surtout j’ai vécu souvent avec « La fille de Ryan » (Ryan’s Daughter », 1970). Film que j’ai eu la chance de voir au-delà de la moyenne par rapport à d’autres spectateurs et à plusieurs reprises dans sa copie 70 mm quand dans les années 90 je travaillais au Max Linder à Paris sur les Grands boulevards.
 
 

Que pensez-vous de la situation de la distribution dans les salles aujourd’hui en France ? Est-ce que le covid va impacter durablement la santé du secteur ?
 
Je pense qu’avant cette épidémie, le secteur du cinéma était vraiment malade dans son fonctionnement, dans son marché si souvent occupé, focalisé, vampirisé et cannibalisé par certains titres qui sont sur représentés. Alors même qu’on nous parle à longueur d’années, de mois et de journées d’une soi-disant diversité du cinéma en France !
Oui beaucoup de films très différents et de toutes les cinématographies sortent au cinéma en France, mais à quel prix ? Tous les films ne naissent pas sous la même étoile.
 
La seule évolution entre 2020 et 2021 entre ces deux périodes de fermeture et de réouverture, c’est que cette année cet hiver et au printemps pendant toute cette période d’attente, la plupart des distributeurs France se sont rendus compte qu’ils avaient eux aussi des films « fragiles » des films qui avaient besoin de temps d’espace et d’attention particulière pour exister et rencontrer leur public.
Comme nos petits films de patrimoine ou plutôt de nos très grands classiques qui doivent eux aussi être montrés et programmés pour éduquer un public et de nouvelles générations de spectateurs.
 
C’est important. Car, tout le monde dit, cette jeunesse se détourne de plus en plus du grand écran pour d’autres outils, des plates-formes pas chères et sans grande valeur ajoutée.