Un conte de fées sombre et difficile d’accès mais hypnotisant dû au génie atypique des frères Quay
Institute Benjamenta, or This Dream That One Calls Human Life (1995)
Réalisé par Stephen Quay et Timothy Quay
Ecrit par Alan Passes, Stephen Quay et Timothy Quay d’après le roman de Robert Walser
Avec Mark Rylance, Alice Krige, Gottfried John, Daniel Smith,…
Direction de la photographie : Nicholas D. Knowland / Production design : Jennifer Kernke / Direction artistique : Alison Riva / Montage : Larry Sider / Musique : Lech Jankowski
Produit par Karl Baumgartner, Keith Griffiths, Janine Marmot et Katsue Tomiyama
Drame / fantastique
105mn
UK / Allemagne / Japon
Jakob (Mark Rylance) s’inscrit à l’institut Benjamenta, une école pour majordomes. Il y fait la rencontre du directeur Herr Benjamenta (Gottfried John) et de sa soeur Lisa (Alice Krige), enseignante. Les jours s’écoulent de manière monotone dans cette école où on apprend toujours la même leçon, inlassablement. Herr Benjamenta et Lisa s’intéressent tous deux à Jakob et semblent vouloir tisser des liens intimes avec lui. Alors que Jakob cherche à découvrir les appartements privés mais sans y arriver, l’institut se détériore lentement et sûrement au même rythme que la santé de Lisa.
On ne va pas se mentir. « Institute Benjamenta, or This Dream That One Calls Human Life » n’est pas accessible à tous. Volontairement hermétique et énigmatique, le premier long métrage des frères Quay est un conte de fées complexe sur le fond et sur la forme. Les images sont souvent floues, grises ou alors hyper contrastées, cadrées au plus serré,… Il faut faire un effort pour distinguer ce qui se passe à l’écran, ce qu’on voit au juste. Les dialogues, volontiers abscons, n’aident pas toujours, loin s’en faut. Le spectateur se retrouve au milieu d’un labyrinthe et les indices semés avec parcimonie par les frères Quay sont parfois trompeurs, ou apportent plus de questions que de réponses.
Malgré ou grâce à cet accès difficile, « Institute Benjamenta » est une expérience visuelle et auditive (les sons et la musique de Lech Jankowski sont indissociables de l’expérience). Expérience poétique et sombre à vivre de préférence sur grand écran pour s’immerger et se perdre complètement dans cet univers hypnotique. Nul doute que vous vous y perdrez plusieurs fois, trouverez parfois le temps long, vous poserez mille questions (encore après la projection).
On pense sur le plan formel aux films expressionnistes allemands, à l’animateur polonais Walerian Borowczyk, à « Eraserhead » de Lynch, à certains délires de Terry Gilliam (d’ailleurs très fan du travail des frères Quay), à la nouvelle vague Tchèque ou encore à « The Servant » (1963) de Pinter et Losey (pour le rapport dominant-dominé).
Les trois interprètes principaux sont excellents. On avait déjà vu Mark Rylance chez Peter Greenaway (« Prospero’s Books » en 1991) mais c’était alors avant tout un homme de théâtre. La sud africaine Alice Krige avait déjà une belle filmographie à son actif (« Chariots of Fire« , « Barfly »,…) mais était un second choix – Channel 4 qui finançait une bonne partie du film voulait une star et c’est Charlotte Rampling qui aurait dû prendre le rôle (finalement Channel 4 a dit non car elle avait quitté un plateau de tournage sur un coup de tête quelque temps auparavant). Quant à l’acteur allemand Gottfried John il était à l’affiche la même année dans un film d’un genre un peu différent : « GoldenEye ».
Stephen et Timothy Quay sont des frères jumeaux nés à Philadelphie en 1947. Ils sont arrivés à Londres à la fin des années 60 pour étudier au Royal College of Art. Dès le début, ils s’intéressent à l’animation en stop motion. Avec un autre étudiant Keith Griffiths ils formeront en 1980 les studios Koninck où seront réalisés tous leurs films, une vingtaine de courts métrages d’animation au style bien particulier et reconnaissable entre tous. A la limite de l’expérimental, la reconnaissance artistique les permettra de tourner deux longs métrages, avec des acteurs : « Institute Benjamenta » et « The PianoTuner of EarthQuakes » (2005). Ils ont récemment produit un nouveau court métrage d’animation « The Doll’s Breath » (2019) financé par l’un de leurs fans, un certain Christopher Nolan.
En France, l’éditeur spécialisé dans les films hors normes (on leur doit notamment la diffusion sur notre territoire du formidable Andrew Kötting), ED Distribution a eu le « courage » de sortir leur deux films en DVD ainsi que leurs courts métrages d’animation réunis dans un coffret. Et en décembre 2019, l’éditeur a ressorti « Institute Benjamenta » dans les salles. C’est en tout cas une chance inespérée pour découvrir dans de bonnes conditions ce duo d’artistes original.
DVD zone 2 FR. Studio ED Distribution (2011). Version originale sous-titrée en français. Bonus : un livret (36 pages, couleur), Au coeur de l’institut, un monde entre deux, Sur le tournage d’Institut Benjamenta, Songs for Dead children (court métrage), Eurydice She, so beloved (court métrage)