Un film rare, formellement inégal, mais qui propose un regard original et provocant pour l’époque avec son personnage principal d’homosexuel de couleur, loin des stéréotypes

Girl Stroke Boy (1971)

Réalisé par Bob Kellett

Ecrit par Caryl Brahms et Ned Sherrin d’après la pièce de David Percival

Avec Joan Greenwood, Michael Hordern, Clive Francis, Peter Straker,…

Direction de la photographie : Ian Wilson / Production design : Seamus Flannery / Montage : Brian Smedley-Aston / Musique : John Scott

Produit par Terry Glinwood et Ned Sherrin pour Virigin Films

Comédie dramatique

86mn

UK

A leur grande surprise, Lettice (Joan Greenwood) et George (Michael Hordern) vont accueillir leur fils Laurie (Clive Francis) accompagné d’une petite amie. Lettice s’en fait une joie et invite des amis. Ce sera bien la première fois que Laurie vient les voir avec une copine. Elle a bien compris que la demoiselle est de « couleur », mais après tout, elle qui écrit des romances, prépare même un livre avec une telle héroïne. C’est dire si elle est ouverte d’esprit. Mais Lettice ne s’attendait pas à ce que 1) le chauffage soit cassé et qu’il fasse 35° dans leur maison alors qu’il neige dehors et 2) Laurie vienne avec une créature étrange dont on ne sait dire si elle est une femme ou… un homme.

Lettice et George sont de parfaits représentants d’une certaine classe moyenne anglaise de l’époque. Libéraux en apparence mais aux préjugés très conservateurs, Du moins Lettuce qui dès le premier coup d’oeil à Jo, la « petite amie » de Laurie, s’interroge sur ce que cache cette silhouette androgyne. Passe encore qu’elle soit noire, mais est-elle un garçon ou une fille ? Cette question va l’obséder et elle va harceler son mari pour qu’il agisse « en homme » et pose la question directement à Jo sur son identité sexuelle. George est terrifié par l’idée de poser une telle question et affirme qu’il s’en fiche tant que son fils est heureux.

Mais Lettice persévère et multiplie les piques et les sous-entendus vis à vis de Jo en présence du jeune couple. Si Jo parait indifférent aux piques de Lettice, Laurie se jette à sa défense devant un George qui suffoque à cause de la chaleur et de l’ambiance !

Pour un film de 1971, « Girl Stroke Boy » n’y va pas par quatre chemins. Si Lettice refuse de voir la réalité en face et fait semblant de croire que son fils, qui a eu des problèmes psychologiques, est encore vierge et ignore tout du sexe de Jo, le film ne cache pas qu’ils ont une sexualité très active.

Parlons d’abord des points qui fâchent. Tiré d’une pièce de théâtre, « Girl Stroke Boy » ne se démarque pas de son origine théâtrale. Les dialogues sont très (trop) travaillés au point d’enlever toute prétention réaliste aux échanges entre les personnages. La farce autour du thème « Est-i un homme ou une femme ? » devient rapidement lourdingue. Notamment à cause du personnage de Lettice qui est affreusement caricatural. Son obsession maladive devient aussi désagréable pour le spectateur que pour les autres personnages. Il n’y a aucune évolution du personnage (sauf à la toute fin), aucun moment d’hésitation. Précisions quand même que l’action se déroulant sur à peu près 24 heures, ce manque d’évolution n’est guerre étonnant. Mais entendre un personnage, durant toute la durée du film, s’enfoncer dans ses obsessions est usant pour le spectateur. Par contre, le fait que le personnage caricatural soit la mère et non le/la petit(e) amie de Laurie, est un retournement assez amusant ! Le conformisme hystérique de Lettice participe à humaniser Jo.

La réalisation de Bob Kellett (qui la même année tourne deux autres comédies pour le même producteur) est basique et datée : les moments de dialogue intenses sont entre coupées de scénettes musicales autour de Jo et  Laurie quand ils sont tous seuls.  Kellet favorise les plans longs, ce qui peut être un avantage (ou un risque) quand on doit tourner un film en deux semaines ! A part les plantes qui se mettent à envahir la maison à cause de la chaleur, il y a peu de fantaisie ou de richesse de mise en scène (l’action se déroule quasi intégralement en intérieur dans la maison des parents de Laurie).

Néanmoins, il y a également beaucoup de choses pour lesquelles le film excelle. D’abord, notons qu’il est indiscutablement provoquant pour l’époque. Les scénaristes sont allés jusqu’à faire de Jo un noir originaire des Indes occidentales (contrairement à la pièce). Ce qui, si on ajoute qu’il est homosexuel (de ce côté, il n’y a guère de doute pour le spectateur), est quand même une sacrée combinaison. La minorité noire anglaise est alors peu représentée sur les écrans, encore moins par le biais d’un personnage principal. En outre, rappelons que l’homosexualité a été partiellement décriminalisée juste quatre ans plus tôt en Angleterre et au Pays de Galles. Basil Dearden avait bien traité les deux sujets une dizaine d’années plus tôt, mais dans des films différents (« Pool of London » en 1951 et « Victim » en 1961) ! On pense aussi bien sûr au film américain « Guess Who’s Coming to Dinner » (1967) avec Sidney Poitier mais « Girl Stroke Boy », sorti il est vrai quatre ans plus tard, va beaucoup plus loin.

En outre Jo, campé par l’acteur et chanteur Peter Straker (ici crédité sous son seul nom de famille, sûrement pour laisser le doute aux potentiels spectateurs sur son genre), est un personnage très éloigné des homosexuels tels qu’ils sont encore montrés sur les écrans. Ni maniéré, ni hystérique, ni victime, Jo est le personnage le plus fort du quatuor.

Enfin, le film se paie le luxe d’un happy end, même s’il laisse une part d’ambiguïté. Deux petits remarques supplémentaires pour finir :  1) On aurait aimé en savoir un peu plus sur les parents de Jo, qui sont de façon amusante d’une classe sociale supérieure à nos représentants blancs de la classe moyenne mais qui ont l’air encore plus rigoristes. 2) Le personnage de Laurie parait fade en comparaison de Jo, s’entêtant jusqu’au bout à faire mine qu’il ne comprend pas les insinuations de sa mère.

« Girl Stroke Boy » est tiré d’une pièce de David Percival qui a fait un bide à l’époque. Mais le producteur Ned Sherrin, qui venait de co-fonder une petite maison de production « Virgin Films » spécialisée dans les comédies à petit budget, a quand même décidé de l’adapter en film. Un pari audacieux mais limité puisque le film a été tourné avec un tout petit budget. Malgré ça, « Girl Stroke Boy » se permet un excellent casting avec deux grands acteurs anglais Joan Greenwood et Michael Hordern en tête d’affiche. Ce qui n’a pas empêché le film de rencontrer à sa sortie une critique surtout hostile (souvent pour les mauvaises raisons).

Si le film convainc plus par le fond que par la forme, « Girl Stroke Boy » est un film important par son regard. L’éditeur Powerhouse a sorti le film en blu-ray en 2022 avec de nombreux bonus (dont un court métrage intéressant « A couple of Beauties » autour d’une drag queen de Mancester sorti la même année) et un livret. Une très belle édition donc pour un film rare.

Blu-ray UK. Studio Powerhouse Indicator (2022). Version originale avec des sous-titres optionnels en anglais (pour le film mais aussi pour le court métrage). Bonus : interviews et livret