24 heures dans la vie d’un inspecteur de Scotland Yard, ce n’est pas de tout repos ! Une comédie dramatique criminelle très anglaise mais réalisée par John Ford !
Gideon’s Day (1958)
(Inspecteur de service)
Réalisé par John Ford
Ecrit par T.E.B. Clarke d’après le roman de John Creasey (JJ Marick)
Avec Jack Hawkins, Anna Lee, Anna Massey, Andrew Ray, Cyril Cusack, Dianne Foster,…
Direction de la photographie : Freddie Young / Direction artistique : Ken Adam / Montage : Raymond Poulton / Musique : Douglas Gamley
Produit par Michael Killanin pour Columbia British Productions
Comédie dramatique / Crime
91mn
UK/USA
Un homme, fumant sa pipe, regarde le pont de Londres illuminé par les voitures et les bus anglais alors que la nuit tombe. Quand le téléphone sonne, il se dirige vers son bureau. En voix off, il se présente. Il s’agit de George Gideon (Jack Hawkins), inspecteur de Scotland Yard. Sa journée « commence à 7 heures quand le laitier frappe à la porte ». Changement d’univers, un matin au domicile de notre inspecteur. Alors que sa femme (Anna Lee) récupère le lait devant la porte, elle interpèle son mari. Celui-ci en robe de chambre est en train de se raser, sort de la salle de bain pour répondre à sa femme quand Sally, sa fille de 18 ans se précipite pour prendre sa place. Eh oui Sally a un concert ce soir, elle est prioritaire ! Il renonce, s’habille, descend, salue ses enfants, fait le lion de mer, note qu’il doit acheter un saumon, et a à peine le temps de commencer à déjeuner que le téléphone sonne. Bien sûr c’est pour George. Son indic Birdie (Cyril Cusack) lui annonce que l’un des membres de son équipe touche au commerce de drogue ! La journée de George Gideon commence bien !
« Gideon’s Day » nous propose 24 heures dans la vie d’un inspecteur de Scotland Yard et c’est pas de tout repos. Les meurtres et les cambriolages se succèdent à une vitesse trépidante. Le pauvre George Gideon va devoir faire face au fil de la journée à un jeune policier trop zélé quand il s’agit de distribuer des contraventions, à trois assassins dont deux sont aussi des cambrioleurs et l’autre un fou échappé de l’asile, à des femmes éplorées ou encore à son supérieur hiérarchique qui se préoccupe davantage de la presse, de ses trophées de chasse ou encore de ses discours mondains qu’au poids qui pèse sur les épaules de ses subalternes,…
« Gideon’s Day » ressemble à une version speedée et inversée de « The Blue Lamp » (1950) qui racontait les déboires d’un simple gardien de la paix, George Dixon (Jack Warner) dont le train-train quotidien est interrompu par un meurtre. Evidemment pour Gideon, un meurtre ça fait partie du train-train ! Non cette journée est spéciale car sa fille a un concert ce soir-là et qu’il aimerait bien ne pas le manquer ! C’est donc l’ordinaire qui devient extra-ordinaire. Et l’aspect quasi documentaire de « The Blue Lamp » fait ici place à une surenchère qui vire parfois à la farce.
Un inspecteur de Scotland Yard devient quelqu’un d’ordinaire. On pourrait être dans une comédie criminelle à la sauce Ealing. Et ce n’est pour rien. Au scénario, on retrouve T.E.B. Clarke, le scénariste de « The Blue Lamp » et de nombre de comédies de Ealing, dont « The Lavender Hill Mob » (De l’or en barres, 1951). Même si l’histoire est adaptée d’un roman, on reconnait bien la patte de T.E.B. Clarke, qui a lui-même brièvement fait partie des forces de police (entre de nombreux autres boulots).
Il est assez surprenant que ce film très anglais soit en fait réalisé par l’un des réalisateurs américains les plus célèbres, John Ford ! Celui-ci venait de réaliser un film dans l’Irlande dont était originaire ses parents « The Rising of the Moon » (1957) et a signé au passage cette commande pour laquelle il aurait été très bien rémunéré (150.000 dollars plus 20% des bénéfices). Il a néanmoins apparement pris plaisir à travailler en Angleterre, séduit par le professionnalisme des techniciens et des acteurs (Jack Hawkins en tête). D’autant que John Wayne était présent pendant tout le tournage et que les soirées ont été bien arrosées.
Malgré son réalisateur prestigieux, « Gideon’s Day » est sorti en catimini aux USA sous le titre de « Gideon of Scotland Yard », en noir et blanc (!) et réduit d’une trentaine de minutes ! Il faudra attendre 1994 pour que les Américains découvrent ce film oublié dans la filmographie de John Ford dans sa version intégrale.
C’est cocasse de voir, dans le supplément du DVD sorti chez Wilde Side, le critique français Samuel Blumenfield s’évertuer à trouver une logique de « Gideon’s Day » dans la filmographie de John Ford ! Ah, l’inénarrable « politique des auteurs » ! Mais il rappelle utilement qu’à l’époque de sa sortie le film avait très bien accueilli par les « Cahiers du Cinéma, le critique du fameux magazine prétendant que John Ford avait su mieux filmer Londres qu’aucun autre réalisateur en Grande-Bretagne, ce fameux pays où de toute façon le cinéma n’existe pas (sauf Hitchcock, hein, mais il s’est exilé) !
Mais bon, sincèrement, si le film est bien réalisé, il est quand même difficile de retrouver la patte de John Ford. Comme je l’ai signalé on reconnait davantage celle de T.E.B. Clarke. Avec quand même un peu plus de sadisme que dans la comédie criminelle typique à l’anglaise. « Gideon’s Day », qui propose une succession de scènettes constituées par les différents cas que doit suivre en même temps le pauvre Gideon, est un drôle de mélange entre comédie familiale et crimes sordides (tous commis off screen sauf un).
Jack Hawkins, avec qui le réalisateur s’est très bien entendu donc, est excellent dans le rôle de l’inspecteur Gideon. C’est assez amusant car j’ai toujours trouvé qu’il y avait chez Hawkins cette virilité mais aussi cette proximité qu’on retrouve chez l’acteur fétiche de Ford, Joh Wayne. Il ne serait pas inintéressant de savoir si Hawkins et Wayne ont sympathisé sur le tournage !
DVD zone 2 FR. Studio Wilde Side, collection Les Introuvables (2014). Film en version originale sous-titrée en français et version française. Bonus : présentation du film par Samuel Blumenfield (16mn)
Cela peut en effet paraître étonnant qu’un film aussi british ait été réalisé par l’Américain John Ford. C’est oublier les liens très forts de celui-ci avec le RU: ses racines irlandaises, son mariage avec une Ecossaise, ses chefs-d’œuvre “The Informer”(1935) et ”Quelle était verte ma vallée”(1941).
Le film est centré sur George Gideon, inspecteur de Scotland Yard plutôt ordinaire, excellemment interprêté par Jack Hawkins (1910-1973). Cet acteur, qui a eu une carrière ininterrompue de 44 ans, mais fut également producteur, mérite qu’on s’y attarde. “Gideon” est un des rares film où il tient le rôle principal. Avec sa carrure massive, sa bonhommie et son flegme, il s’est taillé un succès populaire dans le cinéma britannique, la plupart du temps dans des seconds rôles. Il a tourné avec les plus grands, Ford, David Lean, Attenborough, Basil Dearden, etc. Il apparaît aussi bien dans les grandes productions historiques comme “Lawrence d’Arabie”, “La rose noire” de Henry Hathaway ou “Le Pont de la rivière Kwai”, ou bien dans des films plus intimistes comme “La merveilleuse histoire de Mandy” d’Alexander Mackendrick ou dans le beau film de Carol Reed “The Fallen Idol”. (Première désillusion). Sa fin a été tragique, puisqu’il perdit sa voix à la suite d’un cancer à la gorge.