Documentaire:
Sidney Bernstein

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Rating:
4
On 9 janvier 2020
Last modified:9 janvier 2020

Summary:

Resté dans les cartons depuis 1945 pour finalement être achevé en 2014, ce film sur la libération des camps se révèle être un document inestimable

Resté dans les cartons depuis 1945 pour finalement être achevé en 2014, ce film sur la libération des camps se révèle être un document inestimable

German Concentration Camp Factual Survey (1945)

Réalisé par Sidney Bernstein

Ecrit par Richard Crossman et Colin Wills

Narré par Jasper Britton

Montage : Stewart McAllister, Marcel Cohen, Peter Tanner et George Smith

Produit par Sidney Bernstein et Sergei Nolbandov

Documentaire

88mn

UK

A l’origine du projet une commande du commandement des forces alliées en avril 1945. Le but ? Montrer le film à tous les prisonniers allemands pour les obliger à regarder en face l’horreur des camps de concentration. Au ministère de l’information britannique. Sidney Bernstein réunit en équipe, se rend sur place et est chargé de réunir les images filmées par les cameramen des armées britanniques, américaines et soviétiques lors de la libération des camps de concentration.

Mais la tâche de réaliser un documentaire cohérent à partir de toutes ces images disparates s’avère plus complexe que prévu et le projet prend du retard. A la demande de Bernstein, Alfred Hitchcock alors en pleine préparation de « Spellbound » à Hollywood, vient passer un mois à Londres en juillet 1945 pour participer au montage et à l’écriture du commentaire. Il confirmera notamment l’intuition de Bernstein. Il faut montrer le maximum de plans longs et faire le minimum de coupures afin de ne pas prêter le flanc aux accusations de manipulation des images.

Mais dès septembre 1945 les priorités politiques ont changé. Pour l’occident, il ne s’agit plus de mettre les Allemands en face de leurs crimes, de les dénazifier, mais de s’assurer de leur coopération dans le cadre de la reconstruction économique et politique de l’Allemagne de l’Ouest face au danger soviétique. Les réalités de la guerre froide prennent le dessus. En 1952, Bernstein confiera toutes les archives et notes du projet inachevé à l’Imperial War Museum à Londres.

Une première projection incomplète a lieu en 1984 à Berlin et sur la chaine américaine PBS sous le titre « Frontline: Memory of the Camps » (1985). Puis en 2014, l’Imperial War Museum sort une version complète du film. Le dernier tiers qui n’a jamais été achevé est  monté selon les instructions de l’époque et la narration écrite en 1945 est enregistrée par l’acteur Jasper Britton. Parallèlement HBO sort un documentaire consacré à l’histoire du film « Night Must Fall ».

J’ai eu l’occasion de voir ce film rare dans le cadre de la retrospective Hitchcock à la cinémathèque en janvier 2020. Une seule séance était prévue. Comme l’explique la cinémathèque, dans les années 1970, Hitchcock confie à Henri Langlois (fondateur de la cinémathèque) : « À la fin de la guerre, j’ai travaillé à un film qui décrit la réalité sur les camps de concentration. Horrible. C’était plus horrible que n’importe quel film d’horreur. Ceci, personne ne voudrait le voir. C’était tellement insupportable. Mais c’est resté dans mon esprit toutes ces années ».

Et bien sûr, même si vous avez déjà eu l’occasion de voir des images d’archive sur les camps, « German Concentration Camp Factual Survey » s’avère très difficile à regarder. On voudrait appuyer sur la touche pause afin d’aller s’aérer les neurones mais ce n’est pas possible. Les caméras ne nous épargnent rien puisque l’objectif est de témoigner de l’horreur des camps et est destiné à un public spécifique, celui-même qui est responsable de ces crimes. On a donc droit à de très nombreux gros plans sur des corps nus émaciés, avec des plaies ouvertes ou à moitié calcinés. Les images les plus choquantes restent celles où on voit les gardes allemands condamnés par les forces alliées à regrouper les corps pour aller les jeter dans des fosses communes. Ils attrapent et manipulent les corps comme s’il s’agissaient de sacs de pomme de terre. Ces corps qui ont perdu (presque) leur apparence humaine. On a droit aussi à des visites des chambres à gaz, des fours crématoires ou encore d’une grange où les Allemands ont réuni les prisonniers avant d’y mettre le feu. Bref 88 minutes à glacer le sang du spectateur, presque sans aucune pause (sinon celles qui marquent le retour à la vie des rescapés des camps…).

Le documentaire montre également comment les alliés ont rapidement décidés de faire venir à l’intérieur des camps les habitants et les autorités locales vivant aux alentours pour leur montrer les horreurs qui s’y commettaient. Afin qu’ils ne puissent jamais dire qu’ils n’ont rien vu. On voit ainsi le spectacle terrifiant de gens, de tous âges et de toutes conditions sociales, habillés comme pour une sortie du dimanche, défiler devant des corps détruits, pulvérisés par la barbarie nazie.

L’Imperial War Museum a fait un très bon travail de restauration et a reconstruit le film exactement comme le voulaient Bernstein et son équipe, reconstituant ainsi un document d’époque inestimable.

A noter que le film a été sorti en 2017 dans un combo dvd/blu-ray mais n’est plus disponible. Il est aujourd’hui très difficile d’en récupérer des exemplaires.

Plus d’informations sur le documentaire ici (en anglais) :

https://www.iwm.org.uk/partnerships/german-concentration-camps-factual-survey

https://www.bfi.org.uk/news-opinion/news-bfi/features/importance-german-concentration-camps-factual-survey