Fanny Popieul, Dinard Film Festival (crédit Nathalie Leroy)

(crédit photo : Nathalie Leroy)

Cette année, Le Dinard Film Festival, qui ouvre ses portes du 25 au 29 septembre, fête ses 30 ans. L’occasion parfaite pour interviewer Fanny Popieul, directrice artistique adjointe du festival.

Nicolas Botti : Comment en 1989 a-t-on pu avoir l’idée d’un festival sur le cinéma britannique alors que celui-ci a toujours été snobé par la cinéphilie française ? C’était un sacré pari et pourtant ça a marché très rapidement ! Comment l’expliquez-vous ?

Fanny Popieul : Si on se penche sur l’histoire de Dinard, la réponse est évidente ! La ville a été bâtie par les Britanniques à la fin du 19e, et reste encore aujourd’hui imprégnée de culture et d’architecture d’outre-Manche. À Dinard, l’idée d’un festival de cinéma britannique n’a rien de saugrenu… Le premier festival a eu lieu en 1990, à une époque où, il est vrai, le cinéma britannique n’était pas au top de sa forme, mais tout de même plein de promesses. Disons que le timing a été parfait pour profiter de la renaissance du cinéma britannique et du mouvement Cool Britannia des années 1990.

NB : Il y a aujourd’hui plusieurs festivals sur le cinéma britannique : Dinard (bientôt 30 éditions), Nimes (22 éditions), Ajaccio (10 éditions). Y a-t-il aujourd’hui un véritable intérêt pour le cinéma d’outre manche ? La perception du cinéma britannique a-t-elle changée ?

FP : Oui, le cinéma britannique a très bonne presse en France qui, ne l’oublions pas, est une nation naturellement très cinéphile. Il faut pour cela remercier les maîtres du cinéma social (Ken Loach, Mike Leigh et Stephen Frears, pour ne nommer qu’eux) qui ont su donner une réelle identité au cinéma britannique et servir de tremplin à la plus jeune génération des Danny Boyle, Michael Winterbottom et autres Guy Ritchie, qui ont fait exploser les codes. À mon sens, le cinéma d’outre-Manche d’aujourd’hui dépasse largement l’étiquette peut-être un peu réductrice du cinéma social ou des comédies romantiques à la “Coup de foudre à Notting Hill”. Avec un minimum de curiosité, on peut découvrir tout un univers de cinéma indépendant extrêmement surprenant et audacieux. C’est pour cela qu’il faut fréquenter les festivals ! On y découvre des pépites que l’on ne retrouvera souvent jamais dans les circuits commerciaux traditionnels.

NB : Le festival fête cette années ses 30 ans. Comment expliquez-vous une telle longévité ?

FP : Il n’y a aucun secret ! Il faut travailler dur et rester droit dans ses bottes; rester fidèle aux préceptes de départ, à savoir organiser un festival tant pour les professionnels que pour le public, le tout en veillant à ne jamais prendre la grosse tête car, tout ça, c’est du plaisir ! Les pressions sont multiples, mais il faut savoir y résister pour maintenir l’équilibre. La programmation doit être faite sans entraves, avec l’esprit très ouvert, et surtout sans chercher le consensus, car le résultat serait lisse, donc sans saveur. Dinard est connu pour sa programmation avant-gardiste et exigeante, c’est notre fierté et, j’en suis convaincue, la clé de notre longévité. En cela, nous avons la chance d’avoir un public local – mais pas uniquement –, fidèle et en attente d’être surpris, remué, ému, bousculé. Les professionnels, eux aussi, sont aussi toujours au rendez-vous et plébiscitent notre festival pour la qualité de l’accueil et des opportunités de rencontres dans un cadre exceptionnel. Nous invitons, pour chaque film de la sélection (6 films inédits en compétition et une vingtaine d’avant-premières hors-compétition), le réalisateur, un producteur et 1 ou 2 acteurs/actrices. Rien que cela fait de Dinard un festival où les pros ont l’opportunité de défendre leurs films et rencontrer un public d’avertis. Ajoutez à cela des partenaires, sponsors et mécènes engagés pour la défense d’un cinéma “hors normes” et une équipe organisatrice hyper pro mais sans prétention, et vous avez un festival qui dure ! Professionnalisme, hospitalité et bonne humeur, voilà la recette…

NB : Avez-vous préparé un programme spécial pour ce 30e anniversaire ?

FP : Nous ne souhaitions pas tomber dans le piège de la nostalgie, avec un “retour sur les 30 dernières années”, car nous préférons rester tournés vers l’avenir. Ce sera bien entendu une édition festive, mais la programmation elle-même n’est pas “rétrospective”.

NB : Quel est le rôle principal du festival à vos yeux aujourd’hui ?

FP : Défendre un cinéma qui n’a plus (ou peu) accès aux salles et en VO, émouvoir, provoquer de belles rencontres, faire connaître notre jolie ville !

NB : Comment voyez vous l’avenir du festival ? Doit-il évoluer ?

FP : Bien sûr. Il a d’ailleurs sacrément évolué en 30 ans. Pourvu que ça dure !

Dinard Film Festival 2019

NB : Malgré la reconnaissance du festival, obtenir l’Hitchcock d’Or, comme l’excellent « Jellyfish » l’année dernière, ne garantit pas une distribution dans les salles françaises. Est-ce que le marché de la distribution en salles vous semble-t-il plus complexe qu’avant ? Parallèlement, le développement des plateformes online de vidéo-à-la-demande par abonnement (Netlfix, Amazon,…) offre-t-il de nouvelles possibilités de diffusion qui peuvent se substituer à une sortie cinéma ?

FP : C’est un sujet hyper brûlant, que nous abordons d’ailleurs cette année lors de notre rencontre professionnelle (ouverte au public). On est au cœur d’une révolution et tous les acteurs de l’industrie du cinéma sont concernés. Suite au prochain épisode, car tout est en mouvement et personne ne peut prédire l’avenir…

NB : – Le cinéma britannique a la particularité d’être très imbriqué à la télévision depuis les années 60. Ainsi les premiers chef d’oeuvre de Ken Loach sont des téléfilms (« Up the Junction » en 1965, « Cathy Come Home » en 1966). On pourrait aussi citer Mike Leigh, Stephen Frears,… Et dès sa création en 1982, Channel 4 a joué un rôle majeur dans la production de films. Aujourd’hui de nombreux réalisateurs britanniques travaillent en parallèle pour la télévision et le cinéma. Peut-on d’ailleurs parler de cinéma britannique sans parler de télévision ? Et de web aujourd’hui avec les plateformes de vidéo-à-la-demande ?

FP : Nous autres Gaulois avons une vision très manichéenne – et peut-être un peu rétrograde ? – sur ce sujet ! “Le cinéma, c’est élitiste” et “La télé, c’est populo”. La réalité est loin d’être aussi tranchée.

Gardons toutefois à l’esprit que chaque pays a son propre système de subventionnement des productions audiovisuelles, sa propre politique culturelle… Sa propre histoire, tout simplement. Le sujet ne peut se résumer en quelques phrases. Mais oui, il est vrai que tous les cinéastes fondateurs du cinéma britannique d’aujourd’hui ont fait leurs premières armes à la télévision. C’est d’ailleurs des programmes télé d’après guerre (les fameux kitchen sink dramas) qu’est né ce fameux cinéma social. Tout est lié.

Ceci dit, regardez le rôle de Studiocanal et de France Télévisions dans le PAF d’aujourd’hui et on en reparle. Le phénomène est plus récent en France, et les Britanniques moins complexés par rapport à cette frontière un peu floue, mais c’est un phénomène global et assez naturel puisque la télé diffuse du cinéma.

Les plateformes VàD et autres Netflix, c’est encore un autre sujet. Quand on ne parle plus de films, mais de “contenus”, c’est qu’on a changé de galaxie…

NB : Difficile vu l’actualité de ne pas penser à l’impact du Brexit, qu’il soit « hard » ou « négocié ». Pensez-vous qu’il aura un impact sur la production britannique ?

FP : Forcément. Mais lequel ? Who knows…

 

Pour en savoir plus sur le festival et cette 30e édition à ne pas rater, rendez-vous sur leur site dinardfilmfestival.fr