Un western improbable mais très réussi grâce à un ton crépusculaire, sans concession, une réalisation solide et un casting exceptionnel.

Charley-One-Eye (1973)

(Charley le borgne)

Réalisé par Don Chaffey

Ecrit par Keith Leonard

Avec Richard Roundtree, Roy Thinnes, Nigel Davenport,…

Direction de la photographie : Kenneth Talbot / Direction artistique : Maurice Pelling et José María Tapiador / Montage : Mike Campbell / Musique : John Cameron

Produit par David Paradine Productions et Paramount Pictures

Western

84mn

UK / USA

Un homme noir (Richard Roundtree), ancien soldat, fuit dans le désert après avoir tué un officier blanc qui l’a surpris au lit avec sa femme. Il tombe sur un indien estropié (Roy Thinnes). Ils se réfugient à côté d’une petite église abandonnée. Mais un chasseur de prime (Nigel Davenport) les retrouve.

Un homme noir court dans le désert, débraillé, le pantalon de l’armée unioniste en lambeaux, un gros couteau de cuisine à la main. Quand il passe devant des chiens en train de se battre pour une dépouille de lapin, le Noir se précipite sur la viande délaissée qu’il mange crue. Il se remet à courir de plus belle jusqu’à ce qu’il  tombe sur un Indien qui se repose derrière une bute. Il le menace avec son couteau, se moque de lui, et l’oblige à lui faire à manger. Quand il s’aperçoit que l’indien boite et reste muet, il intensifie ses moqueries.

L’homme noir oblige ensuite l’Indien à le suivre malgré l’évidente antipathie qu’il a provoquée chez ce dernier (et on le comprend !). Menaces, moqueries,…

On apprendra par de courtes séquences aux couleurs passées que le Noir a tué un officier de l’armée unioniste quand celui-ci l’a surpris au lit avec sa femme !

Dans un rare moment de confession pendant leur fuite, le Noir s’époumone face aux roches désertiques, avec pour seul témoin l’Indien :

« J’étais dans l’armée. Oui, chef ! Soldat première classe. Payé pour tuer des Blancs. Quelle blague ! Dieu sait que je l’aurais fait gratuitement ! Ils me payent pour les tuer et la minute d’après ils changent d’avis et me condamnent pour ça. Je ne comprends pas. Tu comprends, toi ? »

On n’est donc guère étonné de voir peu après apparaître un troisième larron, un chasseur de primes qui est à la recherche du Noir.

L’Indien se fait humilier par le Noir mais au fil du voyage et surtout quand ils vont enfin se poser près d’une église abandonnée, une forme de sympathie va naître entre les deux hommes. Après avoir adopté un poulet borgne qu’il baptise Charley-One-Eye (Charley le borgne) l’Indien rêve même de s’installer et de monter un élevage de poules !

Mais les ennuis vont vite les rattraper…

Voici un étonnant western anglais, tourné en Espagne, qui malgré le fait qu’il se déroule dans le désert est essentiellement un huis clos entre deux sous-produits de l’Amérique (leur statut d’être humain leur a été retiré), un Noir meurtrier et un Indien boiteux. Les deux personnages n’ont même pas droit à un nom.

Quand ils tombent sur des Mexicains, ceux-là même les traitent en inférieur. Quant au chasseur de tête, le fait d’être une raclure cruelle ne l’empêche pas de devenir l’élément dominant. Après tout il est blanc.

Chacun est une victime potentielle de l’autre. Et aucune pitié n’est décelable. Les relations « humaines » entre les personnages répondent à une équation simple : Homme Blanc > Mexicain > Noir > Indien > Poules ! « Charley-One-Eye » est une métaphore puissante et âcre de l’Amérique qui m’a rappelé le premier film de George A. Romero, le mythique « Night of the Living Dead » (1968).

Le réalisateur anglais Don Chaffey signe ici son oeuvre la plus atypique et personnelle. On sent qu’il se lâche ! Ayant débuté dans de documentaire à la fin des années 40, Chaffey accumule les commandes pour la télévision et le cinéma. Ses oeuvres les plus connues restent « Jason and the Argonauts » (Jason et les Argonautes, 1963) et « One Million Years B.C. » (Un million d’années avant J.C., 1966) avec Raquel Welch et des dinosaures. Chaffey travaillera par la suite outre-atlantique dans la comédie familiale ( « Pete’s Dragon » en 1977 ou « The Magic of Lassie » l’année suivante) mais surtout à la télévision (Mission impossible, Hooker,…) jusqu’à la fin des années 80.

La plus grande réussite du film est peut-être bien au niveau de son casting. Richard Rountree et Roy Haynes sont exceptionnels, et livrent ici des interprétations d’anthologie, sûrement les meilleures de toute leur carrière !

Richard Roundtree avait ainsi débuté deux ans plus tôt au cinéma en incarnant celui qui allait devenir l’un des héros mythiques de la blackxploitation dans « Shaft » (1971). Et il tournera « Charley One eye » entre deux des suites des aventures de Shaft : « Shaft’s Big Score! » (1972) et « Shaft in Africa » (1973)… avant de continuer les aventures du même héros à la télévision ! Si la carrière de Roundtree est restée marquée par Shaft, celle de Roy Thinnes a subi la marque indélébile de son rôle de David Vincent dans la série « The Invaders » (« Les envahisseurs » en France). Il est ici méconnaissable en indien boiteux, le teint mat, les dents pourries, les ongles longs et crasseux. Aux côtés de ce duo improbable, pour une apparition malheureusement un peu expédiée, on retrouve l’excellent acteur britannique Nigel Davenport dans le rôle du chasseur de prime.

Même à la production on trouve un trio assez incroyable : le présentateur d’émissions satiriques britanniques David Frost, James Swann (Straw Dogs, 1971) et Tim Hampton (qui a travaillé notamment avec Nicholas Roeg, Ridely Scott, Polanski, Scorcese, Hugh Hudson,…)

« Charley-One-Eye » est un film qui mériterait d’acquérir un statut culte. Une excellente surprise ! Nous devons un immense merci à Artus Films qui a sorti le film en DVD sur le territoire français. Vous n’avez plus d’excuse !

DVD zone 2 Artus Films. Version originale sous-titrée en français. Bonus : interview avec Alain Petit (30 mn)