Un excellent film choral sur plusieurs personnes, britanniques et réfugiés bosniaques, confrontées aux conséquences de la guerre en Bosnie
Beautiful People (1999)
Ecrit et réalisé par Jasmin Dizdar
Avec Julian Firth, Charlotte Coleman, Nicholas Farrell, Danny Nussbaum, Faruk Pruti, Dado Jehan,…
Direction de la photographie : Barry Ackroyd / Production design : Jon Henson / Montage : Justin Krish / Musique : Garry Bell
Produit par Ben Woolford pour A Tall Story
Comédie dramatique
107mn
UK
Octobre 1993. Dans un bus londonien, une bagarre éclate entre deux réfugiés, un croate et un serbe, anciens voisins en Bosnie. ils continuent à se battre dans la rue puis sous la statue de Churchill, avant d’être emmenés à l’hôpital où ils devront partager leur chambre avec un terroriste gallois / Portia (Charlotte Coleman), médecin interne et fille d’un député conservateur, tombe amoureux d’un patient bosniaque Pero (Edin Dzandzanovic) renversé par une voiture. Une relation pas très bien vue par sa famille. / Le Dr. Mouldy (Nicholas Farrell) doit faire face à une vie personnelle compliquée par la rupture de son couple et la garde de ses enfants. Mais à l’hôpital il est accaparé par une jeune bosniaque enceinte, et son mari, qui veulent qu’il tue leur bébé sur le point de naître (dans un anglais approximatif ils lui racontent que la mère a été violée par des soldats). / Griffin (Danny Nussbaum) est un jeune hooligan parti voir un match en Hollande et qui se cache pour dormir à l’aéroport dans un conteneur de nourriture qui va être largué en zone de guerre en Bosnie. / Enfin, Jerry (Gilbert Martin) cameraman de guerre pour la BBC rentre blessé et traumatisé de ce qu’il a vu en Bosnie et insiste pour qu’on lui coupe la jambe.
« Beautiful People » est un film chorale composé de cinq histoires. Le sujet de fond est dramatique, puisqu’il s’agit de la guerre en ex-Yougoslavie. Néanmoins, chaque histoire est traitée avec sensibilité et humour, voir une touche d’absurde (le voyage initiatique du skinhead Griffin en plein conflit bosniaque). Dans tous les cas, ces rencontres vont changer la vie des protagonistes.
Les films chorales ne sont pas faciles à réussir. À vouloir trop en dire, à vouloir montrer trop de personnages, ici en plus plongés dans des histoires compliquées, on peut facilement se noyer dans un grand n’importe quoi. Et c’est un petit miracle que « Beautiful People » évite cet écueil. Le film est très équilibré, les différentes histoires évoluent chacune en parallèle (en se croisant parfois au détour d’une scène) et nous dressent un portait sensible et touchant des victimes de la guerre en Bosnie (quels que soient leur côté ou ce qu’ils aient fait). Le film ne juge pas, ne prend pas partie, il se contente d’observer. Il décide de traiter la tragédie avec humour. Et c’est très réussi.
L’idée du film est venue en 1994 en pleine guerre de Bosnie à Jasmin Dizdar, scénariste et réalisateur bosniaque alors installé à Londres depuis plusieurs années. Traumatisé par les échos de la guerre et l’état psychologique de son frère qu’il avait réussit à faire venir à Londres, il décide d’écrire sur le sujet. Il propose d’abord une série de courts métrages à la BBC qui refuse, avant de rencontrer grâce à un ami producteur le patron du British Film Institute (BFI). Le projet se transforme alors en film, et le BFI accorde au réalisateur une aide de 250.000 livres pour lancer son projet. A sa charge de trouver un producteur pour compléter le reste du budget. Il travaille finalement avec Ben Woolford (qui venait de produire l’émouvant documentaire « Gallivant » pour Andrew Kotting. Le tournage débute en 1998 et dure 32 jours pour un budget total d’1,2 millions de livres.
A sa sortie, le film rencontre un beau succès critique, remportant notamment à Cannes le grand prix dans la catégorie « Un certain regard ». Depuis Dizdar est malheureusement resté assez rare sur les écrans. il a tourné un segment dans le film collectif « Les Européens » (2008) et un film de guerre sur la Seconde Guerre mondiale « Chosen » (2016).
DVD zone 2 FR. Studio MK2 (2003). Version originale sous-titrée en français. Bonus : Introduction (8mn), Beautiful Director (10mn), commentaires du film (19mn)
Voilà un film choral qui déjoue les pièges du genre, notamment la confusion due à la multiplicité des personnages évoluant sur des scènes variées. Le dénominateur commun des 5 histoires de “Beautiful People” qui se déroulent en parallèle est la guerre dans l’ex-Yougoslavie. Dès le départ, le titre du film plein d’empathie et d’humour donne la tonalité de l’ensemble. Loin de sombrer dans le pathos et le tragique, le réalisateur Jasmin Dizdar, un Bosnien réfugié à Londres, a su trouver le ton juste pour traiter les situations cruelles auxquelles sont confrontés ses compatriotes exilés: une bonne dose d’humour et de dérision, beaucoup de sensibilité et une certaine distance critique. Chaque récit est celui d’un rencontre entre des réfugiés et des personnages britanniques qui va changer la vie de chacun d’eux, ce qui imprime une dynamique forte à l’ensemble. Au milieu de ces récits se détache celui d’un hooligan, qui, parti à l’aéroport pour voir un match en Hollande, se retrouve en Bosnie pris dans le feu de la guerre. Peut-être faut-il trouver dans cette histoire surréaliste le sens du film : face à l’absurdité des guerres, que reste-t-il d’autre pour ne pas sombrer dans le désespoir sinon d’en rigoler. L’humour comme moyen de survie. C’est cette leçon de vie qui, par exemple, a fait le succès et le charme de la comédie britannique désopilante sur la Grande guerre “Oh, What a Lovely War!” de Richard Attenborough.
On ne peut parler de la guerre en ex-Yougoslavie au cinéma, sans citer quelques films marquants, parmi les très nombreux que cette guerre inter-ethnique atroce a inspirés, et dont le lieu emblématique reste Sarajevo.
Côté britannique, on peut mentionner deux grands films, “Welcome to Sarajevo” de Michael Winterbottom (1997) et “Warriors, l’impossible mission” de Peter Kosminsky (1999), sorti la même année que “Beautiful People”, matrice du film espagnol posterieur qui porte le même titre “Guerreros”, d’Eloy Azorín et Eduardo Noriega (2002). Warriors est le nom de code du contingent des Casques Bleus de l’ONU impliqués par leur passivité dans les massacres commis sous leurs yeux.
“Le regard d’Ulysse” de Theo Angelopoulos (1995) est un hymne d‘amour au cinéma et un appel à la sauvegarde du patrimoine cinématographique mondial, l’histoire d’un cinéaste grec incarné par Harvey Keitel, qui part à la recherche de bobines d’un premier film sur le Balkans, qu’il retrouve en plein siège de Sarajevo chez un vieux projectionniste de cinéma.
Enfin, la même année Kusturiça remporte sa 2e Palme d’Or avec “Underground” (ou “Il était une fois un pays”, version longue du film qui a été diffusée sous forme de mini-série de 5 heures sur RTS), qui sort avec une pluie de récompenses. Le film embrasse l’histoire de la Yougloslavie de 1941 à 1992.