Un film formellement audacieux qui ne tombe pas dans l’exercice de style et démontre une véritable maitrise et puissance.
Bait (2019)
Ecrit et réalisé par Mark Jenkin
Avec Edward Rowe, Mary Woodvine, Simon Shepherd, Giles King, Chloe Endean, Isaac Woodvine, Georgia Ellery, Jowan Jacobs,…
Direction de la photographie, montage et musique : Mark Jenkin / Production design : Mae Voogd
Produit par Kate Byers et Linn Waite pour Early Day Films
89mn
Drame
UK
Martin Ward (Edward Rowe) est un pécheur dans un petit village de Cornouailles. Il n’a pas de bateau et pèche quelques rares poissons qu’il revend l’été au pub local en économisant de l’argent pour s’acheter un bateau. Malgré les demandes répétées de son frère Steven (Gilles King), il refuse de faire des mini croisières pour les touristes. Quand le couple de londoniens qui a acheté leur maison familiale donnant sur le port arrive pour l’été, la tension est apparente. D’autant que la fille de ces derniers sort avec le fils de Steven, Neil (Isaac Woodvine) et que leur fils s’accroche avec un Martin déjà passablement excédé.
Le thème est bien entendu celui du choc culturel et de la confrontation pas toujours facile entre des urbains en quête de tranquillité et des ruraux confrontés à la désertification de leur habitat, transformé de force en village de vacances. Si le thème n’est pas forcément original, tout en étant très actuel, le traitement de Mark Jenkin est audacieux et hautement casse-gueule.
« Bait » est un sacré pari du réalisateur Mark Jenkin, qui est à la fois scénariste, réalisateur, directeur de la photographie, monteur et compositeur du film ! Les choix formels sont très forts : le film est tourné en 16mm en noir et blanc en ratio 4/3, avec multitude de scories, composé essentiellement d’une succession de gros plans, parfois très rapides, d’un montage qui se permet des flashbacks et des flashforwards (généralement par un plan rapide), des bruitages parfois étouffés ou au contraire amplifiés,…
En fait le film a été tourné sans aucun son. Tout a été rajouté en post production, ce qui participe à donner cet aspect irréel, hors du temps de « Bait ».
On pourrait craindre l’exercice formel vaniteux d’un jeune metteur en scène. Sauf que Mark Jenkin n’est pas vraiment un petit nouveau. Basé en Cornouailles, dans le sud de l’Angleterre, l’homme a signé depuis le début des années 2000 nombre de courts (fictions et documentaires) et deux longs métrages (« The Midnight Drives » en 2007 et « Happy Christmas » en 2011).
Et « Bait », qui aurait pu très bien être un vain exercice de style, est en fait un chef d’oeuvre de maitrise. Bien sûr on pourra être agacé par certains partis pris mais le drame marche parfaitement. Si le film requiert l’attention du spectateur qui peut parfois se sentir un peu perdu, la construction narrative est solide, les personnages bien définis (même si un brin caricaturaux !) sont magnifiquement interprétés par un casting composé essentiellement de nouveaux visages (à commencer par l’acteur Edward Rowe impeccable, avec un faux air de Tom Hardy). Et l’ambiance dégagée par l’ensemble des effets formels fait de « Bait » un film d’une beauté hypnotisante qu’on a envie de revoir immédiatement une seconde fois pour être sûr de n’avoir rien manqué.
La presse britannique ne s’est pas trompée en accueillant le film avec des louanges méritées. Nominé deux fois aux BAFTA, film a emporté le prix du « Outstanding Debut by a British Writer, Director, or Producer ».
« Bait » est sorti début 2020 dans une très belle édition blu-ray/DVD grâce au BFI, avec en supplément plusieurs documentaires de Jenkin.
Je ne peux qu’espérer une sortie française. Le film sera en tout cas proposé en avant-première en France en ouverture du festival « Ecrans Britanniques » à Nîmes le vendredi 6 mars 2020. Festival qui rend justement lors de cette 23e édition un coup de projecteur sur Jenkin.
Combo Blu-ray/DVD UK. Studio BFI (2020). Version originale avec sous-titres anglais optionnels. Bonus : commentaires audio, courts métrages et documentaires, Q&A avec Mark Jenkin et le critique Mark Kermode