Entre drame et thriller, voici un film audacieux sur le plan formel et consistant sur le fond. Brillant !

Brothers and Sisters (1980)

Réalisé par Richard Woolley

Ecrit par Tammy Walker et Richard Woolley

Avec Sam Dale, Carolyn Pickles, Robert East, Jenifer Armitage,…

Directeur de la photographie : Pascoe Macfarlane / Direction artistique : Miranda Melville / Montage : Mick Audsley / Musique : Trevor Jones et Dire Straits

Produit par Keith Griffiths pour le British Film Institute (BFI)

Drame / Thriller

96mn

UK

David (Sam Dale) est travailleur social à Leeds. Alors qu’il revient de week-end dans sa maison qu’il partage avec quatre autres personnes (sous forme de communauté) il ne semble guère surpris de savoir que la police veut lui parler. Une femme, prostituée occasionnelle, a été assassinée quelques jours plus tôt dans le quartier.

Au fil de la narration, on va apprendre que David est issu de la haute bourgeoisie, et qu’il a un frère James (Robert East). Ce dernier, marié et père de famille, est major dans l’armée britannique et a été longtemps posté en Irlande du Nord. Il a des idées aussi réactionnaires que celles de David sont progressistes.

Par ailleurs, David a une relation amoureuse avec Tricia (Jenifer Armitage), l’une des jeunes femmes de la communauté, mais il a aussi eu une aventure avec la nounou des enfants de James, Theresa (Carolyn Pickles). C’est la soeur de celle-ci, Jennifer (également interprétée par Carolyn Pickles), une mère de famille et prostituée occasionnelle pour joindre les deux bouts, qui a été assassinée.

Rapidement, les deux frères, David et James, qui se retrouvent au coeur de cette affaire, sont entendus par la police. Est-ce que le crime a été commis par l’un des deux hommes ?

Richard Wooley est un artiste et réalisateur qui avait déjà à son actif deux courts métrages (produits en Allemagne), un moyen métrage (Illusive Crime, 1976), un long (Telling Tales, 1978) mais c’est sa première production « commerciale » qui sort du cadre expérimental.

L’idée du film vint à Richard Woolley suite aux massacres de 13 femmes, surtout des prostituées, entre 1975 et 1980 par celui qu’on surnommait l’éventreur du Yorkshire. Woolley vivait alors à Leeds où avait été commis certains des crimes, et avait été témoin de l’impact de ceux-ci sur les relations hommes/femmes au quotidien. Il s’était déjà intéressé à la violence sexuelle dans son film le plus provoquant « Illusive  crime ».

Il glisse dans le scénario, co-écrit avec Tammy Walker, ses idées arrêtées sur l’hypocrisie de classe et sexuelle. De fait le gauchiste David, si préoccupé par les égalités sociales que ce soit entre les races ou les sexes, ne se comporte pas mieux et n’est pas moins hypocrite que son frère James. « Au moins c’est un bâtard honnête » lance Theresa à David après avoir entendu les deux frères débattre de la prostitution et de leurs rapports aux femmes.

Ce drame avec des éléments de thriller (on va suivre par intermittence le parcours de Jennifer le soir du meurtre) arrive à brouiller les pistes et déstabiliser le spectateur via un montage extrêmement précis qui refuse toute logique chronologique en mélangeant sans prévenir les séquences. Le début se situe en fait chronologiquement vers la fin; et le film nous apporte des réponses au fil de l’eau via des flashbacks et des sauts en avant qui prennent de surprise le spectateur qui doit ainsi reconstituer lui-même l’ordre des événements. Woolley utilise aussi la voix off (sous forme de rapports de police) pour présenter les personnages et donner des éléments d’information complémentaires. La photographie, également très réussie, joue sur le cadrage pour nous donner certaines informations et nous en cacher d’autres. Etonnamment, ces paris risqués marchent à merveille.

« Brothers and Sisters » constitue un sacré coup de pied dans les bijoux de famille du patriarcat, que ce soit au niveau du genre et des classes. Les hommes n’en ressortent pas intacts, c’est le moins qu’on puisse dire. Et la tagline du film n’est pas juste un gimmick marketing : « Un homme l’a tué, mais tous les hommes sont coupables ». Le ton est donné.

« Brothers and Sisters » arrive largement à dépasser les oppositions, parfois un peu grossières, entre les deux frères et les deux soeurs, et son discours un peu daté sur les genres, grâce à ses choix formels et à ses dialogues bien écrits.

Le film a été financé par le BFI et Woolley pour la première fois de sa carrière a pu avoir des moyens à la hauteur d’un cinéma plus traditionnel. Niveau casting, on ne peut qu’admirer la performance de Carolyn Pickles (vue l’année précédente dans « Tess » de Roman Polanski) et qui endosse deux rôles, celui de la prostituée et celui de sa soeur. Quant à Sam Dale (David) et Robert East (James) ils avaient déjà une forte expérience à la télévision. Musicalement, on a droit à de très bonnes compositions orchestrales du sud africain Trevor Jones (dont c’était la première musique de film mais qui devenir l’un des compositeurs les plus en vue du métier) et un morceau de Dire Straits.

« Brothers and Sisters » est disponible dans un coffret DVD du BFI dédié au réalisateur et qui reprend toute sa production cinématographique, soit deux courts, deux moyens métrages et trois longs. Malheureusement, et contrairement à la plupart des autres DVDs du BFI, ici point de sous-titres. Ce qui rend l’oeuvre de Woolley encore largement inaccessible au public non anglo-saxon. Quel dommage !

Zone 2 UK. Disponible dans le coffret BFI « An Unflinching Eye. The films of Richard Woolley. » Version originale sans sous-titres.

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