Né au fin fond de la campagne hongroise, Alexander Korda (1893-1956) est devenu au début des années 30 le premier mogul du cinéma britannique. Il a eu une influence considérable sur l’histoire du cinéma.

Alexander Korda, de son vrai nom Sandor Laszlo Kellner est né le 13 septembre 1893 dans un village, à Pusztatúrpásztó, près de la ville de Túrkeve, dans le centre est de la Hongrie.

Avec ses deux frères, Zoltan né en 1895 et Vincent en 1897, il a un début d’enfance heureuse dans une famille juive non pratiquante. Le jeune Alex se plonge dans les livres d’aventure, surtout ceux de Jules Verne, et aime pratiquer le sport.

La mort de son père, d’une appendicite en octobre 1906, va profondément changer la vie de la petite famille. Obligés de quitter le logement de fonction qui allait avec la profession du père (il gérait le domaine d’une riche famille), les voici qui se réfugient chez le grand-père paternel à Kecskemet où la vie n’est pas toute rose : le grand-père a du mal à supporter ses petits-enfants qu’il bat régulièrement.

Alex convainc alors sa mère de le laisser partir afin de poursuivre ses études à Budapest. Il arrive dans la capitale hongroise en 1908, à l’âge de 15 ans. Il y fréquente les cafés où se rencontrent les artistes et écrivains, comme le Café New York. De son propre aveu, Korda y apprend l’éloquence, une qualité qui va bien lui être utile par la suite !

En 1909, sa mère et ses deux frères le rejoignent à Budapest. Un professeur d’histoire et de littérature le prend sous son aile, et avec son aide, il réussit à décrocher des piges pour des articles et nouvelles dans un quotidien libéral. Pour ne pas se faire repérer par la direction de son école, il publie alors sous un pseudonyme Sursum Corda (une expression latine qui signifie « Haut les cœurs ! »).

Korda vers 1920

A 18 ans, le futur Alexander Korda rêve d’écrire un roman important, dans le style de « Guerre et Paix » et s’intéresse de plus en plus au cinéma. Il souhaite partir à la découverte de Paris et de son studio de cinéma qui était alors le plus réputé au monde, celui de Pathé à Vincennes. Malgré son jeune âge et le fait qu’il soit sans le sou (il a bien essayé de se faire payer le voyage par son journal puis par la famille proche – mais sans résultat), il part en juin 1911.

Il reste un an à Paris. On ne sait trop ce qu’il y a fait. Il a étudié à la Bibliothèque Nationale, a peut-être travaillé aux studios Pathé, mais une chose est sûre, il peine à survivre. De l’avis de son biographe Charles Drazin, cette année de déche aurait été très formatrice pour Korda. Il se rend compte qu’il ne pourra jamais être écrivain à moins de prendre le risque de mourir de faim. Au contraire, Alex aime un certain confort matériel et un train de vie sans entrave. Son séjour semble en tout cas avoir accru son intérêt envers le cinéma.

De retour à Budapest, Alex reprend les piges et écrit de plus en plus sur le cinéma… alors même que le cinéma hongrois est tout juste en train de naitre. Les premiers films hongrois, sortis en septembre et octobre 1912, sont « Noverek » (les sœurs) et « Mas es holnap » (Aujourd’hui et demain), ce dernier étant signé par un certain Mihaly Kertesz (qui connaitra plus tard la gloire à Hollywood sous le nom de Michael Curtiz).

Ce même mois d’octobre 1912, Alexander Korda cofonde le premier magazine hongrois consacré au cinéma « Pesti Mozi » (Budapest Cinéma). Il y écrit notamment quelques essais sur le cinéma où il met en avant la nature intrinsèquement visuelle du cinéma et vante les mérites du réalisateur comme l’élément créatif clé de ce nouveau médium.

Alors que la première guerre mondiale éclate et que ses frères sont mobilisés, Alex est réformé pour des problèmes de vue (depuis son jeune âge il porte des lunettes aux corrections très fortes). Malgré les problèmes économiques du pays, la production cinéma continue et Korda va en profiter pour faire ses premiers pas dans le milieu.

Il fait ses débuts derrière la caméra dès 1914 en aidant l’acteur Guyla Zilahy à réaliser deux films, puis il coréalise un film avec Milos Pastzory avant de réaliser en 1915 son premier film en solo « A tiszti karbojt », tourné en trois jours et qui connait un joli succès public.

Au Café New York, Alex rencontre  Jeno Janovics, directeur du Théâtre National de Kolozsvar. Janovics a fondé Corvin, une compagnie de production et cherche un assistant. Korda tourne sept films pour Corvin en 1916 (d’une durée d’envirion 20 minutes chacun). Quand début 1917, Janovics installe Corvin à Budaptest, c’est Alex qui prend les commandes. Et la société annonce une grande ambition, celle d’adapter la littérature hongroise pour le grand écran à destination d’un marché mondial. En 1917, à 24 ans, Alexander Korda devient ainsi la figure proéminente du cinéma hongrois !

Après-guerre, la Hongrie connait toutefois de fortes perturbations politiques. Alex obtient de deux gouvernements successifs la charge de veiller sur le cinéma hongrois. Il tourne à cette époque trois films. Sur « Ave Cesar! » (1919) Alex lance une jeune actrice, Antonia Farkas. Il l’épouse et avec l’appui de Korda elle devient rapidement une star sous le nom de Maria Corda.

En août 1919, après un nouveau changement de régime, Korda est arrêté. On ne sait pas grand-chose sur les circonstances ni même les raisons de cette arrestation, mais une fois libéré, Alex prend rapidement un train pour Vienne avec Maria. Là il reprend rapidement le travail grâce à une relation cinéphile, le comte Kolowrat qui avait fondé le premier studio cinéma d’Autriche en 1916.

En 1920, Alex sort ainsi son premier film autrichien, une adaptation libre du « Prince et du Pauvre » de Mark Twain, « Prinz und Bettelknabe » qui est même distribuée aux États-Unis et y connait un grand succès. Désormais il signe ses films Alexander Korda (au lieu de Korda Sándor).

L’année suivante, Alex devient père. Une naissance endeuillie par la mort de sa mère qui l’a rejoint quelques mois plus tôt à Vienne avec son frère Zoltan. Il réalise rapidement deux autres films : « Herren der Meere » (Les maitres de la mer) et « Eine Versunkene Welt » (Un monde disparu). Pour ce dernier film, il travaille avec l’écrivain Lajos Biro qui restera l’un de ses grands amis, un mentor et un fidèle collaborateur.

Toujours désireux de voler de ses propres ailes, Alexander Korda fonde un studio Corda Film Consortium pour produire et réaliser une adaptation moderne de l’histoire de Samson et Dalila, Samson und Delila, qui sort le jour de noël 1922.

Notre insatiable globe trotter quitte bientôt l’Autriche pour s’installer dans la capitale du cinéma européen de l’époque, Berlin. Son premier film allemand « Das unbekannte Morgen « (1923) peut s’enorgueillir d’avoir au générique Werner Krauss, la star de « Das Cabinet des Dr. Caligari » (1920).

Pendant ses années entre Berlin et l’Autriche, Alex réalise des films pour sa star de femme, se mettant quelque peu en retrait. Mais alors que la carrière de Maria est au beau fixe, la relation entre les deux époux se détériore.

C’est à ce moment que la compagnie américaine First National propose un pont d’or à Korda pour qu’il vienne s’installer à Hollywood. Après des tergiversations – Korda sait qu’il aura bien moins de liberté en travaillant pour un studio hollywoodien -, il accepte la proposition. Fin 1926, Alex arrive à Hollywood, mais en trainant des pieds (il arrive près de six mois après le début prévu de son contrat).

Alexander Korda signe son premier film américain en 1929. Il s’agit de « The Stolen Bride », un film véhicule pour la star de la National, Billie Dove. Le succès public est immédiat et pour son second film américain, Korda peut imposer sa femme au casting « The Private Life of Helen of Troy » (1927). Avec son ami Lajos Biro au scénario, il réalise en 1928 deux autres films pour Billie Dove (« Yellow Lilly » et « Night Watch »).

Alors qu’Alex gagne de plus en plus d’argent et que la First National le considère comme l’un de ses réalisateurs les plus en vue, Il déprime : « Lentement mais sûrement, je suis en train de mourir d’ennui. Je commence à me rendre compte que plus rien ne m’intéresse, sinon une augmentation ».

Le passage forcé au parlant avec son film « The Squall » ne le passionne pas non plus. Quand deux de ses supérieurs passent chez la Fox, il les suit. Mais à la Fox, il découvrira une méthode de travail très hollywoodienne qui ne lui plait guère : l’interventionnisme permanent (méthode qu’il appliquera pourtant consciencieusement une fois devenu lui même patron de studio !). Alex n’ira même pas au bout du projet confié par la Fox « The Princess and the Plumber ». Son franc-parler lui vaut d’être remercié. Parallèlement, il perd des grosses sommes d’argent avec le crash boursier de 1929 et son mariage se désintègre. Il finit par divorcer.

Alex rêve de retourner en Europe où les possibilités lui semblent illimitées. De son passage à Hollywood il retiendra le génie des studios en termes de publicité et de marketing. Pour ce qui est des films eux-mêmes, Korda pense qu’Hollywood s’appuie sur des recettes trop convenues et sans réelle accroche sur la réalité.

A la fin de 1930, le voici à Berlin avec son ami Lajos Biro. Mais le contexte politique ne lui plait guère. Et il s’installe rapidement en France, où, comble de l’ironie, il va à nouveau travailler pour un studio Hollywoodien. Paramount vient d’ouvrir en banlieue parisienne des studios afin de recréer des films américains dans les différentes langues européennes (non, il ne s’agit pas juste de doublage, mais d’un nouveau tournage avec des acteurs différents !!). Alex réalisera ainsi les versions allemande et française d’une comédie Hollywoodienne « Laugher ». Ces versions européanisées ne rencontreront guère de succès, et la Paramount décide alors de se lancer dans les productions originales.

Marcel Pagnol s’est à l’époque rapproché de Paramount qui finit par accepter de financer une version cinéma de sa célèbre pièce « Marius ». Paramount décide de confier la réalisation à Alex. Pagnol d’abord dubitatif  tombe rapidement sous le charme de Korda qui d’emblée lui apporte un appui considérable face au studio américain : il appuie à 100% les demandes de Pagnol. Il n’y aura pas de film sans le casting original de la pièce. Le résultat fait plus de 2 heures, mais Paramount a promis de ne pas toucher à la version française du film. Des version allemande (tournée par Korda) et suédoise (tournée par John Brunnius) sont par contre largement modifiées. Ironie du sort, si la version française triomphe, les versions allemandes et suédoises sombrent !

Pour son prochain film, en septembre 1931, Paramount décide d’envoyer Alex à Londres pour inaugurer leur nouvelle unité de production avec la comédie romantique « Services for Ladies ». Sorti en janvier 1932, le film rencontre un joli succès public et critique. Mais Korda n’est pas satisfait du nouveau projet que veut lui confier Paramount, et il fonde sa propre compagnie de production London Films dès le mois suivant.

Pour cette nouvelle aventure, Korda s’entoure rapidement de ses deux frères. Zoltan passe derrière la caméra, où en plus de réaliser des films, il intervient sur de nombreux autres projets à la demande de son frère. Vincent, peintre dans l’âme, se voit confier la production artistique de toutes les grosses productions de London Films. Eléments rapidement indispensables de l’empire Korda, Zoltan et Vincent vivent avec plus ou moins de bonheur leur collaboration imposée avec leur frère ainé au comportement autocrate.

London Films produit des « quota pictures » pour Paramount, et signe un contrat de six longs métrages avec Michael Balcon pour Gaumont-British. Sur le modèle hollywoodien, Korda met des actrices sous contrats dont une certaine Estelle Thompson O’Brien rebaptisée Merle Oberon.

Le premier long produit par London Films est la comédie « Wedding Rehearsal » (1932), réalisée par Alex sur une histoire de Lajos Biró. Pour le premier film à quota à sortir des fournaux de London Films, Korda mise étonnement sur la réalisatrice allemande Leontine Sagan, controversée pour son approche sans fard d’un sujet tabou : l’homosexualité féminine. Devant les dérives prévisibles de Sagan, Korda est obligé d’intervenir. Il demande à son frère Zoltan de faire le ménage afin de pouvoir sortir un film distribuable, « Men of Tomorrow » (1932).

Vincent, Alexander et Zoltan Korda (photo de Nat Farbman)

Des soucis de production amènent Gaumont British à rompre le contrat avec London Films, et Korda se retrouve sans distributeur ni argent pour finir « The Lady from Maxim’s », d’autant que les premiers films sortis ne cassent pas des briques au box-office. Le film est interrompu.

Début 1933, la situation semble désespérée. Mais Korda s’assure le soutien d’une famille italienne, les Toeplitz, le père étant un banquier important et le fils un investisseur dans le milieu du cinéma. Ils acceptent de financer le prochain projet de Korda « The Private Life of Henry VIII » qui sera réalisé par Korda avec dans le rôle principal Charles Laughton. Korda s’assure en plus l’appui de la compagnie américaine United Artists co-fondée par Chaplin.

« The Private Life of Henry VIII » sera alors de loin la production la plus chère du cinéma britannique avec un budget proche de 100K£ (soit deux fois l’équivalent d’un budget hollywoodien de l’époque). Il rapportera plus du double.

Le succès de « The Private Life of Henry VIII » est suivi par d’autres grosses productions, au coût toujours plus élevé : « The Rise of Catherine the Great » avec Douglas Fairbanks Jr. (127 K£), « Sanders of the River » réalisé par Zoltan (149 K£).

London Films obtient alors un accord de distribution plus avantageux avec United Artists et il s’assure le soutien financier du géant de l’assurance, Prudential.

London Films s’engage sur la voie de productions coûteuses. Vu l’investissement réalisé sur chaque film, les films sont durs à rentabiliser et un échec commercial suffit à mettre en danger l’équilibre de la société.

Poussé par le succès et ses ambitions, Alexandre Korda décide de recruter les services de deux figures importantes britanniques.

Il recrute ainsi au début de 1934 Winston Churchill, alors au creux de la vague, pour produire des courts sur des sujets d’actualité puis sur un long sur le règne de Georges V . Aucun de ces projets ne verra le jour mais un lien d’amitié durable et d’admiration mutuelle naitra entre les deux hommes.

Amoureux de SF, Korda donne carte blanche à l’écrivain anglais HG Wells pour travailler sur un film spéculant sur le futur de l’humanité. La collaboration avec HG Wells donnera lieu à « Things to Come »  et « The Man who Could work Miracles », deux films sortis en 1936 qui vont coûter très chers et n’auront pas le succès escompté, que ce soit auprès des critiques et du public. « Things to Come » notamment est le témoignage de l’ambition démesurée de Korda. Le film coûtera pas moins de 240K£. Il est encore visuellement impressionnant et contient des scènes impressionnantes, mais la narration est lourde et maladroite.

En 1935, Korda met en œuvre son grand projet, la construction d’un studio de taille hollywoodienne, Denham, dont le budget de construction est estimé à 250K£ mais dont la facture approchera finalement les 400K£.

Après l’échec de « Things to Come », le futur de London Films semble s’assombrir. La société a besoin encore une fois d’une rallonge de la part de Prudential, mais la société d’assurance, échaudée, réclame une réorganisation et une meilleure maîtrise des budgets de production.

Malheureusement, alors qu’il mettait beaucoup d’espoir dans sa nouvelle collaboration avec Charles Laughton, « Rembrandt » (1936), film accouché dans la douleur, est également un échec commercial.

Parallèlement, Korda toujours à la recherche de nouvelles stars, découvre Vivien Leigh, qu’il prendra sous contrat, et dont il louera les services à Hollywood pour une somme fort rondelette, et dont il encouragera la liaison avec Laurence Olivier pour son propre bénéfice.

Avec le documentariste Robert Flaherty, il finance le projet d’un film tiré d’une nouvelle de Kipling. Mais le tournage en Inde s’embourbe et Korda finit par envoyé Zoltan pour sauver le projet qui sortira finalement sous le titre d’ « Elephant Boy » (1937). Au casting, un jeune indien qui va devenir une figure importante des films exotiques de Korda, Sabu.

Si « Elephant Boy » perd de l’argent malgré son succès (il rapporte 100k£ pour un coût de 150k£), la facture globale des films produits par Korda semble monter toujours plus haut. Ainsi « Knight Without Armour » de Jacques Fayder avec Marlene Dietrich et Robert Donat aurait coûté plus de 300K£.

Un nouveau projet avec Charles Laughton et Merle Oberon est mis en chantier, « I, Claudius », réalisé par Josef Von Steinberg. Mais le tournage est un cauchemar, notamment du fait du comportement capricieux et imprévisible de Laughton. Le film est annulé au bout d’un mois de tournage, officiellement suite à un accident de la route qui mène Merle Oberon à l’hôpital.

Korda, qui est devenu l’un des membres directeurs de United Artists, se bat alors pour prendre le contrôle du distributeur américain avec Sam Goldwynn. Il est persuadé que la clef du succès dépend d’une distribution optimale de ses films sur le territoire américain. Vu leur coût, il n’a pas tort. Mais ses tentatives échouent.

En 1937, Korda est obligé de se faire une raison. Il lui faut maîtriser les coûts de production, même sur ses films les plus ambitieux. Ce n’est toutefois pas assez pour redresser la barre. Le 11 décembre 1938, The Daily Express titre :

« La société de production de Korda d’une valeur de 3 millions de livres engendre un bénéfice de 726£ !».

United Artists et Prudential refusent de remettre de l’argent dans la London Films. Prudential réussit à imposer une fusion entre Denham et Pinewood Group mené par Rank.

Malgré la situation des plus sombres, Alex Korda lance la production d’une nouvelle super production « The Four Feathers  » qui sort au printemps 1939, cette fois-ci avec un succès retentissant.

Korda se marie avec Merle Oberon à Antibes en juin de la même année, et travaille d’arrache-pied sur le premier film de sa nouvelle société « Alexander Korda Film Productions » : « The Thief of Bagdad ». Le tournage est épique, les réalisateurs se succèdent, mais le résultat est une réussite.

Alors que Korda boucle « The Thief of Bagdad », la guerre mondiale éclate. Un véritable terrain de jeux pour quelqu’un qui aime les intrigues… comme il l’avait déjà prouvé depuis quelques années. Il avait été approché par les services secrets britanniques dès 1937 pour sa connaissance de terrain de l’Europe continentale. Via London Films, il aurait permis la récolte de précieux renseignements.

Avec la guerre, Korda se rêve responsable de la production cinématographique britannique. Il produit en deux mois  » The Lion has wings « , film de propagande à destination du public américain, fraîchement accueilli par le gouvernement britannique qui pense que son approche propagandiste manque de subtilité et risque de se mettre à dos le mouvement anti-interventionniste encore très fort outre atlantique.

Néanmoins, sachant que ses relations à Hollywood sont précieuses, le gouvernement le pousse à s’installer aux USA. Korda se met alors à faire jouer ses relations et à lancer des productions de propagande, cette fois-ci en utilisant en toile de fond l’histoire de Lord Nelson : « Lady Hamilton » (1941) avec Vivien Leigh et Laurence Olivier. Il assure également via United Artists la distribution américaine de films britanniques de propagande « One of our Aircraft is missing » et « In Which We Serve ».

Alexander Korda et Merle Oberon

Son activisme est récompensé dès juin 1942, moment où il est fait Chevalier Grand-croix de l’Ordre de l’Empire britannique. Un honneur inédit pour un réalisateur et producteur de cinéma. Néanmoins, le gouvernement ne veut toujours pas de lui sur le territoire britannique. De retour aux États-Unis, Sir Alexander Korda produit « To Be or Not to Be » (1942) de Lubitsch. Sa rivalité avec David Selznick prend aussi un tour particulièrement coriace autour du contrôle des réalisateurs britanniques les plus en vue : Hitchcock, Carol Reed,… Quand il revient en Angleterre en 1943, de nouveaux producteurs ont pris la place qu’il occupait : J. Arthur Rank ou encore Michael Balcon (ce dernier s’étant montré très critique envers Korda et consorts qui auraient à ses yeux fui la guerre).

De retour en Grande-Bretagne, les choses ont bien changé pour Korda. Il travaille à présent pour un grand studio américain (MGM) et doit désormais louer comme tous les autres et sans passe-droit l’accès aux plateaux de Denham, seul studio non réquisitionné par l’armée. Son premier film pour la MGM, « Perfect Strangers » avec Robert Donat et Deborah Kerr, connait une gestation compliquée. Il en assure la réalisation par dépit après avoir dû virer le réalisateur attribué par la MGM Westley Ruggles… tout en ayant la tête ailleurs. Korda fait alors des allers retours répétés aux USA où il tente le tout pour le tout afin de sauver son mariage avec Merle Oberon.

Parallèlement en avril 1944, désormais convaincu qu’il ne pourra pas récupérer Denham, Korda rachète à Prudential les studios Amalgamated à Elstree pour la MGM. Le même jour, il rachète la marque London Films à Prudential et cède ses parts dans United Artists pour 1 million de livres.

Le 4 juin 1945, Oberon obtient le divorce, et en août « Perfect Strangers » sort sur les écrans britanniques. Le film fait un flop. La MGM est lasse des dépenses de Korda, et décide d’arrêter les frais. En octobre, Alex Korda remet sa démission.

En 1946, Korda via London Films acquiert une part majoritaire dans «British Lion », une société de production créée en 1927, et dans Shepperton Studios.

Le film suivant, produit par Korda pour British Lion et réalisé par Julien Duvivier,  « Anna Karenina » avec Vivien Leigh dans le rôle titre, est également un échec. Korda aurait-il perdu son flair ?

Pendant ce temps, Korda reconstruit une vie amoureuse avec l’actrice Christine Norden. Mais ses espoirs de fonder une relation durable avec une actrice 31 ans plus jeune que lui, semblent peu réalistes. Celle-ci épouse finalement le futur réalisateur Jack Clayton en décembre 1947… avant de revenir vers lui (temporairement) quelques mois plus tard.

British Lion attire de plus en plus de réalisateurs indépendants qui fuient Rank en pleine réorganisation et qui se concentre désormais sur un cinéma populaire plus commercial. Mais Korda n’a pas les finances pour soutenir tous les projets en cours. En février 1948, il demande une aide publique. Après de longues discussions, le gouvernement, désireux d’assurer une production britannique forte, verse 1.2 millions de livres à British Lion.

La sortie deux semaines plus tard de la nouvelle super production Korda « Bonnie Prince Charlie » se conclut sur un fiasco. De toutes les productions de British Lion pour l’année fiscale 1948-49, seules deux productions n’ont pas enregistré des pertes. Résultat, un déficit de 1,3 millions de livres.

Alex convainc Powell et Pressburger, qui viennent de triompher avec « The Red Shoes » de s’attaquer à un remake de « The Scarlett Pimpernell » coproduit avec Sam Goldwynn. Le résultat « The Elusive Pimpernell » est à nouveau un échec cinglant, et Goldwynn déteste le film.

Une autre production, cette fois-ci avec Carol Reed et Graham Greene semble des plus prometteuses. Cette fois-ci avec l’appui d’un autre mogul américain, David O. Selznick, Alex Korda donne le feu vert à « The Third Man ». Korda réussit à protéger Reed des tentatives de pression de Selznick. Ce ne sera pas le cas avec « Gone to Earth », la nouvelle production de Powell et Pressburger. Le fait que sa femme Jennifer Jones tienne le rôle-titre n’a bien entendu guère aidé.

De ce combat de titans qui s’achève devant les tribunaux, Selznick sortira vainqueur. Il gardera les droits (et donc l’intégralité des bénéficies) engendrés par « The Third Man » sur le continent américain, et obtiendra le Final Cut sur « Gone to Earth ». Ce dernier est un nouveau bide.

Pour Korda, le choc est immense. Il ne comprend plus le cinéma, ni la Grande Bretagne, passe son temps libre sur un yacht (baptisé « Elsewhere » !).

En 1952 toutefois, British Lion semble se stabiliser après trois années de crise grâce à la décision de produire désormais à moindre coût. Korda est désormais plus détaché, prend du recul.

Chrstine Norden quitte définitivement Korda durant l’été 1952, et cette fois il dirige son choix vers une jeune femme simple, sans ambition cinématographique, mais près de 40 ans plus jeune, Alexa. Ils se marient en mai 1953. Alors âgé de 59 ans, Alexander Korda se voit en retraité.

Korda se retire complétement de British Lion qui semble toujours sur le fil du rasoir, mais continue à produire des films pour David Lean (Summertime), Carol Reed (A kid for Two Farthings), Laurence Olivier (Richard III).

Fin Juillet 1955, Korda souffre d’une crise cardiaque. Ses médecins lui annoncent qu’il n’a plus que quelques mois à vivre. Même le succès critique et publique de « Richard III » ne lui remonte pas le moral. Il décède le 23 janvier 1956 d’une nouvelle crise cardiaque.

Alexander Korda aura eu une influence déterminante sur le cinéma britannique des années 30 jusqu’à sa mort. Seule figure d’outre-manche à avoir pu réellement affronter les Américains à leur propre jeu, il laisse derrière lui une liste impressionnante de films qui ont marqué l’histoire du cinéma. Artiste et poète dans l’âme, il n’a jamais fait l’impasse sur un cinéma de qualité, quels que soient les aléas et les mauvaises fortunes.

Cette bio est largement basée sur l’excellente et très détaillée biographie de Charles Drazin « Korda, Britain’s Movie Mogul » (IB Tauris, 2002).